Frigyes Karinthy : "Miroir déformant"
Avec un regard particulier pour le haut
mal
Dissertation
Introduction
On
entend par sport les mouvements et contorsions que certaines gens
excités par d’autres exécutent avec certaines parties de
leur corps séparément ou avec leur corps tout entier, afin de
surtout n'en laisser aucune partie à la place où Dieu l’a
créée mais pour que la partie en question occupe si possible une
position non prévue au départ. Il est possible d’utiliser
à cet effet toutes les parties du corps à l’exception du
cerveau dont le fonctionnement viendrait tout perturber car il risquerait de
qualifier d’inepties ces contorsions et désarticulations.
Évolution historique
Selon
les recherches des plus éminents savants de l’histoire du sport,
Zoltán Halmay et Richárd
Weisz[2],
les anciens Grecs connaissaient déjà les sports. Ceci est
très évidemment attesté par les sculptures grecques et
romaines qui nous sont parvenues et dont c’est tantôt la main,
tantôt le pied, tantôt la tête qui manque, tantôt
c’est leur ventre qui est enfoncé, tantôt leurs côtes
défoncées, ce qui ne peut qu'être un témoignage de
l’immense popularité du glorieux football à
l’époque, ou éventuellement du sport de randonnée.
Le proverbe Romain « Mens sana in corpore sano », à traduire par « Menez
au sana le caporal Sano », va dans ce
sens, ainsi que la relique linguistique de l’assyrien ancien
« Mané, Thécel,
Pharès » que l’on peut
traduire par : « Tords-toi le cou sur le court ».
La
lutte antique a été inventée par un israélite nommé
Jacob qui s’est battu avec un assez beau résultat contre le
dénommé Ange : en l’espace de quatre heures et
vingt-cinq minutes il le mit à terre avec un Nelson. Ont encore
excellé en athlétisme :
1. Samson, lancement
de javelot et secouement de colonnes, premier placé.
2. Mahomet, marche
de la Mecque à Médine.
3. Titusz
Dugovics[3], saut
en hauteur.
Le
moyen âge a permis à l’humanité de connaître un
certain nombre de sports intéressants, modernes. C’est à
cette époque qu’en Espagne l’orthopédie et la gymnastique
aux agrès ont fait florès - cette dernière a
été pratiquée par l’inquisition dans des chambres de
plomb, avec des garrots, avec des brodequins et avec des matelas
cloutés ; mais la natation dans l’huile chaude était
aussi largement répandue.
Dès
que Vilmos Vazsonyi[4]
a découvert la poudre à canon, on a pu s’attaquer aux
sports de chasse. La chasse à la dot a aussitôt pris un essor
fulgurant et depuis elle dure toujours.
La
chasse a toujours été notre sport favori : nos politiciens
ont une prédisposition certaine pour le tir de boulettes en rafales.
Parmi les activités archaïques on doit encore évoquer les
sports nautiques : nous avons toujours eu d’excellents champions de
pêche en eau trouble.
Les
autres sports ont longtemps végété dans un état de
sous-développement. Le plus ancien des exercices est
l’aversion ; les Hongrois ont en effet exercé de
l’aversion pour beaucoup de choses avec une ambition
persévérante et une endurance méritoire, par exemple pour
le paiement des impôts. C’est après 1849 que s’est
répandue la corde ; un certain nombre de généraux
comme de simples soldats de la guerre d’indépendance ont
été amenés à pratiquer ce sport sous la baguette de
l’entraîneur Haynau[5].
Et enfin, depuis l’urbanisation forcenée de notre capitale,
c’est l’arrivisme qui est le sport le plus couru.
Disciplines sportives
Football
Autrement
dit : balle au pied. On y joue à vingt-deux, jusqu’à
total épuisement, sans pansement. Dans le jeu on trouve aussi un ballon
mais ce n’est pas ça qui compte : ce n’est qu’une
sorte de symbole qui sert de prétexte au but principal, le coup de pied
au ventre. Il est interdit de jouer avec les mains ; dans la tête,
dans l’estomac, dans le dos, dans les vertèbres cervicales, dans
les dents, dans les narines, dans la gorge et dans les intestins on n’a
le droit de donner des coups qu’avec les pieds. L’objectif du jeu
est de marquer des buts, ceci se réalise de la façon
suivante : le gardien se couche en travers devant le filet, les avants lui
donnent des coups de pied dans le ventre jusqu’à ce qu’il
soit percé, puis à travers ce trou ils poussent le ballon dans le
filet. Selon les règles les plus récentes, au cas où la
balle a roulé ou volé dehors et a disparu il est autorisé
de poursuivre le jeu avec un globe oculaire extrait d’un coup de pied.
Sports nautiques
1. Natation.
Deux ou plusieurs personnes s’agrippent simultanément à une
grande pièce d’eau et elles progressent dessus en tirant
jusqu’à parvenir à l’autre extrémité.
Pendant cette opération on est censé gesticuler fortement des
bras et des jambes. Celui qui réussit à distribuer suffisamment
de coups
2. Plongée. Deux
ou trois personnes immergent leur tête sous l’eau et elles
l’y gardent assez longtemps pour que les autres concurrents ne tiennent
plus. Il convient d’avertir les débutants que dans cette situation
la respiration est rendue un peu plus difficile. Sortira premier celui qui
restera le dernier. Le mieux est de rester une minute de plus que le temps que
l’on peut tenir ; ensuite on peut continuer la compétition
même pendant des jours avec la plus grande facilité, sans une
seule fois émerger la tête. Par-dessus le marché cela
permet d’enfoncer Artúr Kankovszky[6].
3. Plongeon. On
se rend dans une entreprise de cinématographie et on demande mille
forints sous le prétexte qu’on veut bien sauter d’un pont
dans le Danube. Si l’entreprise plonge dans la combine, on va au Danube
et on n’a plus qu’à nager jusqu’au milieu puis on sort
de l’eau, on se fait photographier, on rentre dans l’eau et on
n’est plus dans le bain.
Athlétisme
1. Lutte.
Peut être pratiquée par des professionnels ou des amateurs. La
première méthode est beaucoup plus difficile. Il y faut un bon
entraînement, une grande force musculaire, du courage et de la
présence d’esprit, une pondération virile et du sang froid
pour ne pas jeter son adversaire à terre, même par
hasard – si les chefs ont prévu qu’on soit justement
jeté à terre par l’autre. La lutte entre amateurs est en
revanche beaucoup plus simple. Deux hommes se pressent, se pétrissent,
se morcellent et se perforent aussi longtemps qu’à la fin il ne
reste plus que deux épaules, alors ils les collent au sol.
2. Course de fond. Elle
nécessite comme accessoires la caisse et deux policiers. La caisse est
emportée par le sportif, il est suivi par les deux policiers à la
distance qui convient.
3. Saut en hauteur. Le
sportif donne un coup de pied dans la terre à un point précis, la
terre le lui rend et le fait bondir. Celui-ci continue à se hisser
jusqu’à ce qu’il atteigne une barre de rotang, il la
franchit et redescend de l’autre côté. À son point
culminant il se cherche un endroit plutôt mou, par exemple la tête
de l’arbitre et c’est là-dessus qu’il redescend afin
d’éviter de se faire mal.
Sports de l’avenir
1. Jiu-jitsu.
Découvert par les Japonais. Ses quelques règles en cas
d’attaque :
a) Bras cassé en
travers. On saisit des deux mains les
plantes des pieds de l’adversaire et d’un geste brusque on les
remonte jusqu’aux genoux. Son genou se cogne sous l’aisselle et lui
fait sauter l’œil gauche. De peur, il se retourne et se brise les
vertèbres cervicales. Il convient de le coucher à terre et de
continuer son chemin.
b) On
parsème de sel les talons de l’adversaire, ça le fait
empoigner son pied gauche ; alors on le saisit par les deux oreilles, on
les tire vers soi jusqu’à ce que sa colonne vertébrale
prenne la forme d’un demi-cercle. Un coup de pied rapide dans le flanc,
un uppercut dans le coude en faisant jaillir
Normalement
ces procédés assurent la victoire, mais il convient de veiller
à ce que l’adversaire ne puisse pas nous déranger dans
l’exécution précise des prises. (Le plus efficace est de l’assommer
au préalable avec un gourdin.)
2. Patin à roulettes.
Il convient de prévoir deux patins à
quatre roulettes chacun. Habituellement les débutants fixent par erreur
ces patins à leurs pieds. Le temps passant, l’expérience
leur apprend que la meilleure méthode est de les attacher
d’emblée sur le ventre.
3. Danse de Saint Guy. Apogée
et clôture en apothéose de tous ces sports. Voilà où
les sports conduiront l’humanité. Voir le tome Ringard-Salmonelle
de la grande encyclopédie Pallas.
[1]Éditée en 2014 aux Éditions du Sonneur dans la traduction de Cécile A. Holdban.
[2] Zoltán Halmay (1881-1956).
Nageur, médaille d’or aux J.O. de 1904 ; Richárd Weisz (1879-1945).
Lutteur, médaille d’or aux J.O. de 1908.
[3] Héros de la guerre conte
les Turc au XVe siècle
[4] Vilmos
Vázsonyi (1868-1926). Ministre.
[5] Général de
l'armée autrichienne.
[6] Artúr
Kankovszkt (1886-1945). Champion de lutte.