Frigyes Karinthy -
Poésies : Message dans une bouteille
Ainsi
naquit le verbe…
Loups, superbe léopard, mes frères,
Hyène tachetée, ma fratrie, mes parents
Paon, cousin chamarré, vert perroquet, famille,
Lourd et sage éléphant, maki malin, marabout chagrin
Je suis tapi sous cet arbuste, laissez-moi seul un peu
La Loi de la Jungle je la connais
Je jappe avec le chien, avec chacal je hurle
Mais maintenant je parle
Je vous implore par tout étant !
La fraîche curée je l’ai laissée dans la
clairière, rongez-la à la hâte
(Vite je vous joindrai) juste ces quelques signes
Je les graverai de mes ongles usés dans la paroi rocheuse
Pour que mon descendant égaré les retrouve ici dans cent
mille ans
Laissez-moi glapir seul, mes oreilles seules entendent
Le son, le son, le bruit sourd, que l’Âme
Presse à extraire par ma bouche dévorante bestiale vers
le dehors tournée,
Ici est quelque chose que la Jungle en vain guetterait
Pour répondre à quoi en vain glatirait la foulque,
En vain siffle le merle, en vain l’anoure coasse
Ici est quelque chose, je flaire quelque chose
Que je recèle en moi, nous deux seuls dans le ciel humide
Dans les champs humides –
Moi-même et moi – moi et lui –
Je suis – et il n’est pourtant pas mon père
Il existe autre chose, autre que cette Loi,
Il y a Quelqu’un non accouché d’une femelle, non
engendré d’un mâle
Non sorti d’un utérus, qui naît ici maintenant
Dans la douleur, dans l’orifice de mes lèvres
gercées bégayantes,
Dans l’eau amniotique des larmes jaillissantes,
Quand, de ma gorge en avant inclinée
Je râle ce nouvel appel : Sei-gneur…
Sei-gneur… Sei-gneur prends pitié !