Frigyes
Karinthy – Poèmes parus dans la
presse
au concert
Dans mon humide nuit de
lumière éblouie
Soudain s’allume
l’arc, la rampe avec ses feux.
Des voix… couleurs…
forêt de murmures humains.
Une salle voûtée, illuminée
de glaces.
Tout à coup le
silence ; puis une vague ondule,
Et traverse et surpasse les cimes
des rochers :
La voix de Beethoven. – Quatre
doigts voltigeants,
Une jeune fille en blanc fait
vibrer l’harmonie.
Des vagues montent, passent…
Par assauts successifs,
Elles bouillonnent et sifflent
– L’onde grandit et enfle,
Sur la crête en furie, halète,
se dilate,
Elle grossit et gonfle…Se
répand… elle inonde…
Enivre l’univers d’une
euphorie sauvage,
Une main de fer tient serré
le cœur qui tremble.
Un son strident aigu tout à
coup. Et ensuite
Un vide gigantesque, silence
assourdissant.
Puis un doux rire
léger : il vibre et il gargouille,
Pour enfin éclater, hardi
et ironique !
Des lanières de fouet
claquent en altitude
L’eau miroitant se fend en
deux sections sifflantes,
Elles se hissent haut, plus haut,
plus haut encore !
Elle éclate en liesse
– et plaintive, retombe !...
Ô, jeune fille en blanc,
c’était une merveille !
Tout autour lui répond un
silence profond.
La fille en robe blanche
persévère hardiment,
Sur des mers enchantées,
des vagues bondissantes.
Regarde, regarde, les visages confluent,
Brûlent, hypnotisés.
Le blanc des yeux grandit.
L’arc des lustres verse un
torrent d’étincelles,
Une paroxystique ivresse se
répand.
Je la connais, je la connais bien
cette ivresse,
Moi je le reconnais, ce son des sept planètes.
Notre route est unique,
c’est la voie de la gloire
Notre but est unique et incompris d’autrui.
Dans la grise pénombre
s’arrête devant lui
Le flot gris de la foule,
paresseuse, endormie.
Dans son cœur ton archer y
sillonne les cordes
Sonores et il révèle
un éveil enchanté.
Ô, moi aussi je marche sur ce
même chemin !
Ô, moi aussi
j’entends, je comprends ce discours !
Une force d’agir
tempête en mon cerveau.
L’arc a tendu sa corde,
alors l’instant est proche.
Nous accostons au peuple, pour
jeter l’ancre ici
Dans le lac froid du cœur
pour lui dire, lui parler,
Afin de l’enchanter, afin de
le bercer,
Sanglotant avec l’âme,
doucement tourmentée…
L’empoigner violemment,
aussi le secouer,
Afin de l’éveiller,
comme mon cœur l’a fait !
Pour que leur cœur
s’éveille : avec leurs cils clignant,
Qu’ils se suspendent
à mon regard inconsciemment
Que dans leur jeune cœur,
jeune cœur potelé
Le sang monte, pulsant, et
violemment puissant.
Des océans lointains,
d’autres flots, d’autres eaux
Dévalent en hurlant les
littoraux rocheux.
Je te
comprends Beethoven ! C’est toi qui dois m’apprendre
Le glorieux savoir de
s’adresser au cœur.
Ô, jeune fille en blanc,
jeunesse, beauté, gloire !
Ô, mon rêve
orgueilleux, ma foi inassouvie !
Ton doigt parcoure encore une fois
cette corde !
Déferlant allègre et
victorieusement !
Et vous, feux de la rampe,
n’hésitez pas, flambez !
Tempête de plaisirs :
éclate, explose et hurle !
Je te salue, Lointain, Futur
annonciateur,
Qu’adviennent gloire,
jeunesse, qu’elles adviennent !!...
Nyugat, 1909, n° I. pp.238-239.