Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
JE LE DIS,
OUI, JE LE DIS…
Enfin je suis chez moi. Enfin, enfin, fin. Oui, je suis vraiment
chez moi, et je peux me coucher dans mon cher plumard, plumard, mard, ard, berk, dans mon plumard
tout blanc. C’est chouette de me trouver enfin vraiment chez moi. Où il est
déjà mon petit plumard ? Ma très chère logeuse, cette insolente, ne m’a
pas préparé des allumettes. Oh là là, comment je vais
faire pour trouver l’amphore ? Mon unique amphore. Ah oui, c’est vrai, ha,
ha, ha, Bichel, tu as eu ton compte. Ah, enfin, j’ai
trouvé mon petit plumard, mon amphore. Bon, enfin je me suis couché, je me suis
endormi. Endormi ? J’ai seulement plaisanté, comme vous savez, un poète ne
s’endort pas tout de suite après s’être couché, mais il rêve, imbéciles !
Aouaouahouah ! Comme c’est bien quand un poète
rêve. Cinquante coucouronnes de Athenæum, cent coucouronnes,
mille coucouronnes, un million de coucouronnes
de Athenæum. Ce sera pas mal ce million de coucouronnes. J’irai me baigner en été, et j’achèterai
New York.
Aouaouahouah !! Je sens le sommeil venir. Tu
dormiras gentiment, poète, rêve tranquille. Ah oui, cent coucouronnes,
un milliard de coucouronnes, un billion de coucouronnes. Béla, aboule. Comme c’est beau, une coucouronne. C’est beau, argenté et rond, crève celui qui
en a !
Oh là là, j’ai
chaud. Une coucouronne, un million de coucouronnes. J’achèterai tout, Merde alors !
J’achèterai aussi beaucoup de livres pour 1 couronne 90. Bouquiniste.
J’achèterai aussi les Ainsi écrivez-vous.
C’est un petit livre coquet. Avec un joli dessin sur la couverture. Le plus
joli petit livre qui puisse exister. Ah oui au fait, c’est moi qui l’ai écrit.
J’ai bien fait de l’écrire, et cet imbécile
de dessinateur a amoché la couverture de mon joli petit livre. J’irai à la
police porter plainte contre lui. Pornographie, cochonnerie, Dezső Boda !
- Qu’est-ce que vous voulez,
laissez-moi dormir, vous ne voyez pas que je dors ?
- Je suis Monsieur Zola, l’huileur.
- Ah bon ! Ainsi écrivez-vous –
je lui ai crié.
- Bon d’accord, je le sais enfin, mais
toi comment ?
- Boucle-la, en quoi ça te
regarde ? Du balai !
- Et vous, qu’est-ce que vous me
voulez, pourquoi ne me laisse-t-on pas dormir ?
- Je suis Zoltán Száz,
la femelle.
- Ainsi écrivez-vous – j’ai crié à lui
aussi.
- M-m-m-mais t-t-toi co-co-comment ?
- Ta gueule !
Insolence, tous ceux qui sont, ils veulent
tous me grimper dessus, ils veulent me bouffer. Oh là là,
la gueule qu’ils ont !
- Je suis Babits, je suis Molnár, je
suis Szép, je suis Ibsen, je suis Eötvôs,
je suis Fumier, etc.
- Que voulez-vous, que
voulez-vous ?
- Nous vous remercions de nous avoir
appris comment nous écrivons. Mais toi, mais toi, mais toi ?
- Ainsi écrivez-vous – ai-je rugi redoutablement
-, ça ne vous regarde pas, vos gueules, vos gueules, vos gueules !
Enfin je suis seul, ils sont partis. Enfin
ils sont partis. Cinquante coucouronnes, cent coucouronnes, un milliard de coucouronnes,
une coucouronne.
Salope, elle m’a piqué. Attends un peu. Où
tu as mis les allumettes, charogne ? Allumette, allumette, je le tuerai,
je vais l’attraper. La salope, elle a osé me piquer, elle m’empêche de rêver.
Allumette, allumette, udersvofel och
fosfor. Enfin je les ai trouvées. C’est joli quand ça
flambe. Montre-moi où tu es, salope qui me pique ! Oh, mais vous êtes
nombreuses ! Paf, charogne. Paf, toi aussi, paf, paf, toi aussi, toi
aussi. J’ai de jolies petites taches rouges sur le drap, de jolies petites
taches rouges, symétriques, paf, géométriques, paf, paf, paf, analytiques,
crac, je l’ai grillée celle-là, elle est bien belle et brune, paf, Bichel, paf, Zápor, paf, Kafkaff, paf, Chimeaun, ça commence à puer un peu, tant pis, paf, paf,
toutes ces belles petites taches rouges, rouges sur le mur, rouges sur
l’oreiller, rouges sur le drap, rouges rubis, gare à vous, parce que moi !
Moi ! Je vous jure, bande de salopes, je vais vous dire maintenant, oui,
je vous dis que… que… que… Ainsi j’écris.
Librement
adapté d’après Carinti.