Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
afficher le texte en hongrois (page 34)
À l’attention des petits états bien sages,
racontée par papa Wilson
Chers petits États européens,
guili-guili, le petit canon, guili-guili, la bombe à gaz – coucou, qui est
là ?
Alors dites-le, Francette, Anglinette, Germinette – qui est
là ?
Qui donc d’autre que le bon vieux
monsieur Wilson-Bilson avec sa liste blanche comme la
neige, longue de mille mètres, qui lui pendouille au menton. Et l’État c’est
moi.
Allons, les enfants, voyons,
comment ça se fait que vous n’avez pas répondu à la si longue lettre que je
vous ai envoyée l’autre jour ?
Voyons, voyons, vous n’écoutez
pas quand on vous parle ? Pourtant j’étais bien clair. Mais je ne vais pas
me fâcher pour autant.
Vous savez, mes chers petits
états blonds au nez retroussé, hier de nouveau l’envie m’est venue de discuter
un peu avec vous. Il se trouve que je fumais ma pipe sous le portique, et alors
tout à coup j’entends une grande bagarre dans la cour.
Un petit ambassadeur blanc, je
crois de type allemand, se lance et rentre dans mon petit secrétaire d’État
chamarré que patati patata, il devrait faire quelque chose pour qu’on permette
aux navires d’aller ici ou là, je ne sais même pas où, peut-être au-delà du
bout du monde, qui sait ?
Alors, pendant que je les regarde
faire, je me dis : tiens, ces deux-là se querellent. Alors là, je me dis :
ça c’est pas bien joli.
Que pourrait-on bien faire ?
Vous qui êtes de si intelligents
petits États, je suis sûr que vous allez trouver quelque chose pour mettre fin
à tout ça.
Car, croyez-moi, se chamailler,
c’est très vilain, je vous le jure, mon petit doigt me dit qu’avec vous il est
possible de s’entendre puisque vous êtes déjà de grands petits États adultes.
Réfléchissez, vous rendez-vous
compte ? À quoi ça vous a
mené ? Vous avez déchiré vos vêtements, vos mains sont toutes sales. À
quoi ça sert ?
Francette se plaint de Germinette qui n’arrête pas de se vanter, on ne peut jamais
faire la paix avec elle. Allons, allons ! Y a qu’à la laisser se
vanter ! Se vantera bien qui se vantera le dernier, pas vrai ?
Germinette
pleurniche que Francette et Anglinette veulent lui
prendre ses soldats, toute la boîte.
Allons, Germinette,
n’as-tu pas honte ? Laisse Francette jouer un peu elle aussi, n’aie pas peur, elle ne les cassera pas – ou alors si vous
n’arrivez décidément pas à vous mettre d’accord, donnez-moi cette boîte, je la
rangerai dans mon tiroir et vous ne l’aurez ni l’une ni l’autre.
Vous avez aussi maille à partir
avec Belgicot, vous en avez par-dessus la tête.
Francette répète à tout va qu’elle ne cherchait pas noise à Germinette,
mais, dit-elle, c’est Germinette qui a tabassé Belgicot qui est un petit garçon chétif. Allons, allons, si
Belgicot a à se plaindre, il viendra le dire
lui-même. Ce n’est pas une raison pour se battre. La prochaine fois il fera
mieux attention et je parie que s’il est sage, Germinette
ne lui fera plus de mal. C’est un garçon sage si on ne l’embête pas. Je le
connais bien.
Vous savez, je me suis entretenu
l’autre jour avec Monsieur Monroe pour savoir ce qu’on pourrait faire de vous.
Monsieur Monroe a proposé que tout le monde rentre dans sa chambre et que
chacun appelle sa petite maman s’il a un problème. Vous ne connaissez pas
Monsieur Monroe ? C’est un monsieur très gentil, c’est lui qui a écrit le
livre d’images où on parle des petits États, comment ils doivent s’habiller aux
différentes occasions, ce qu’ils doivent dire quand ils reçoivent quelque
chose.
J’ai composé pour vous un petit
poème. Venez l’écouter.
Je
me présente, petit État,
Te
félicite, toi, autre État,
De
tout cœur te souhaite
Bonheur
et vie satisfaite.
Le
traité de La Haye vivra !
Alors, Germinette,
Francette, Anglinette, vite, embrassez-vous !
Pipi paix c’est comme il faut, et la guerre c’est très vilain !
Bon, ça suffira pour aujourd’hui,
on en dira plus la prochaine fois. Monsieur Wilson doit se dépêcher, il a
beaucoup à faire, il doit vite aller dans son bureau où l’attend beaucoup de
travail : fabriquer plein de cani-canons, de
shrapnel-bapnel, il doit les emballer, les charger
sur des bateaux – je ne sais même pas où donner de la tête !
Je vous prie d’agréer, Monsieur,
Madame, l’expression de mes sentiments respectueux,
Woodrow
Wilson, professeur d’université, locataire de la Maison Blanche, Président des
États-Unis d’Amérique.
Pesti Napló, le 28 mars 1917.