Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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La gentille paix et la vilaine guerre

 

À l’attention des petits états bien sages,

racontée par papa Wilson

Chers petits États européens, guili-guili, le petit canon, guili-guili, la bombe à gaz – coucou, qui est là ?

Alors dites-le, Francette, Anglinette, Germinette – qui est là ?

Qui donc d’autre que le bon vieux monsieur Wilson-Bilson avec sa liste blanche comme la neige, longue de mille mètres, qui lui pendouille au menton. Et l’État c’est moi.

Allons, les enfants, voyons, comment ça se fait que vous n’avez pas répondu à la si longue lettre que je vous ai envoyée l’autre jour ?

Voyons, voyons, vous n’écoutez pas quand on vous parle ? Pourtant j’étais bien clair. Mais je ne vais pas me fâcher pour autant.

Vous savez, mes chers petits états blonds au nez retroussé, hier de nouveau l’envie m’est venue de discuter un peu avec vous. Il se trouve que je fumais ma pipe sous le portique, et alors tout à coup j’entends une grande bagarre dans la cour.

Un petit ambassadeur blanc, je crois de type allemand, se lance et rentre dans mon petit secrétaire d’État chamarré que patati patata, il devrait faire quelque chose pour qu’on permette aux navires d’aller ici ou là, je ne sais même pas où, peut-être au-delà du bout du monde, qui sait ?

Alors, pendant que je les regarde faire, je me dis : tiens, ces deux-là se querellent. Alors là, je me dis : ça c’est pas bien joli.

Que pourrait-on bien faire ?

Vous qui êtes de si intelligents petits États, je suis sûr que vous allez trouver quelque chose pour mettre fin à tout ça.

Car, croyez-moi, se chamailler, c’est très vilain, je vous le jure, mon petit doigt me dit qu’avec vous il est possible de s’entendre puisque vous êtes déjà de grands petits États adultes.

Réfléchissez, vous rendez-vous compte ? À quoi ça vous a mené ? Vous avez déchiré vos vêtements, vos mains sont toutes sales. À quoi ça sert ?

Francette se plaint de Germinette qui n’arrête pas de se vanter, on ne peut jamais faire la paix avec elle. Allons, allons ! Y a qu’à la laisser se vanter ! Se vantera bien qui se vantera le dernier, pas vrai ?

Germinette pleurniche que Francette et Anglinette veulent lui prendre ses soldats, toute la boîte.

Allons, Germinette, n’as-tu pas honte ? Laisse Francette jouer un peu elle aussi, n’aie pas peur, elle ne les cassera pas – ou alors si vous n’arrivez décidément pas à vous mettre d’accord, donnez-moi cette boîte, je la rangerai dans mon tiroir et vous ne l’aurez ni l’une ni l’autre.

Vous avez aussi maille à partir avec Belgicot, vous en avez par-dessus la tête. Francette répète à tout va qu’elle ne cherchait pas noise à Germinette, mais, dit-elle, c’est Germinette qui a tabassé Belgicot qui est un petit garçon chétif. Allons, allons, si Belgicot a à se plaindre, il viendra le dire lui-même. Ce n’est pas une raison pour se battre. La prochaine fois il fera mieux attention et je parie que s’il est sage, Germinette ne lui fera plus de mal. C’est un garçon sage si on ne l’embête pas. Je le connais bien.

Vous savez, je me suis entretenu l’autre jour avec Monsieur Monroe pour savoir ce qu’on pourrait faire de vous. Monsieur Monroe a proposé que tout le monde rentre dans sa chambre et que chacun appelle sa petite maman s’il a un problème. Vous ne connaissez pas Monsieur Monroe ? C’est un monsieur très gentil, c’est lui qui a écrit le livre d’images où on parle des petits États, comment ils doivent s’habiller aux différentes occasions, ce qu’ils doivent dire quand ils reçoivent quelque chose.

J’ai composé pour vous un petit poème. Venez l’écouter.

 

Je me présente, petit État,

Te félicite, toi, autre État,

De tout cœur te souhaite

Bonheur et vie satisfaite.

Le traité de La Haye vivra !

 

Alors, Germinette, Francette, Anglinette, vite, embrassez-vous ! Pipi paix c’est comme il faut, et la guerre c’est très vilain !

Bon, ça suffira pour aujourd’hui, on en dira plus la prochaine fois. Monsieur Wilson doit se dépêcher, il a beaucoup à faire, il doit vite aller dans son bureau où l’attend beaucoup de travail : fabriquer plein de cani-canons, de shrapnel-bapnel, il doit les emballer, les charger sur des bateaux – je ne sais même pas où donner de la tête !

Je vous prie d’agréer, Monsieur, Madame, l’expression de mes sentiments respectueux,

Woodrow Wilson, professeur d’université, locataire de la Maison Blanche, Président des États-Unis d’Amérique.

 

Pesti Napló, le 28 mars 1917.

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