Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
DE NOUVEAU ON
PEUT ÉCRIRE
Les menottes étrangleuses tombent pour quelques jours,
de nouveau on peut écrire, les choses à dire rassemblées ont trouvé une petite
soupape – le journaliste, et même le publiciste satirique, ma modeste personne,
peuvent de nouveau vivre leur vocation : fustiger les défauts de la
société et de l’humanité, dire la vérité droit dans les yeux de chacun, qu’il
s’agisse de personnes privées, d’institutions ou du pouvoir, critiquer les
événements sous la loupe de la vérité et de la morale, scruter les mesures
prises par les acteurs responsables du destin du monde, leurs déclarations,
leurs actes, pour savoir dans quelle mesure ils correspondent au salut de
l’humanité, aux intérêts de la société, des citoyens et de nous tous.
Parlons donc ouvertement, avec courage et sincérité,
sans craindre la susceptibilité des puissants – énonçons ce qui nous pèse sur
le cœur, ce qui est douloureux, ce qui ces jours-ci nous fait réfléchir,
puisque nous avons tant à dire ! Tant de choses se passent ces jours-ci,
au-dehors et au-dedans, dans le monde entier, qui demandent jugement, avec le
courage d’un esprit juste ; vraiment, on ne sait pas par où commencer.
Il y a là, tout de suite, le temps qu’il fait. En
janvier – pour notre joie à tous – il a recouvert notre chère
capitale d’une sérénité ensoleillée, pour tourner de nouveau vers nous, depuis
quelques jours, son visage assombri, couvert, renfrogné, humide, froid.
Disons-le en toute franchise, avec courage, que ça plaise à la censure ou non –
même avec la meilleure volonté on ne peut pas qualifier ce temps de beau. Ce
temps est très vilain et très désagréable, et croyez-moi, Monsieur le
Premier Ministre, quoi que vous disent les vils flatteurs – si les citoyens
peuvent exprimer franchement leur avis, du premier au dernier ils diront au
gouvernement, les yeux dans les yeux, qu’ils en ont par-dessus la tête de ce
temps et souhaiteraient qu’il change !
Et naturellement, les personnes compétentes oublient
de commenter que les hirondelles tardent à revenir ? Dès la
semaine dernière je comptais écrire sur ce sujet, mais la place manquait !
Et encore, que dirons-nous des informations concordantes qui observent depuis
quelques jours que l’eau que nous connaissons liquide et transparente se met à
durcir, à certains endroits elle devient même compacte et solide ?
(Certains invoquent pour explication une chute des températures). Nous ne
voulons soupçonner personne, nous ne voulons accuser personne, nous
reconnaissons la bonne foi, la légitimité de chaque conception, mais nous
exigeons un examen sévère dans cette affaire !! Il est du devoir des
milieux compétents, non seulement de rassurer le public, mais aussi lui offrir
des garanties qu’à l’avenir cela ne se reproduira pas, ou si oui, seulement dans
les cas les plus argumentés, quand la chose devient déjà inévitable, disons en
dessous de zéro degré, puisque tout le monde sait clairement que le gel est
inévitable quand le thermomètre tombe en dessous de zéro – nous exigeons
seulement qu’un tel abus ne se produise pas sans raison.
Il y aurait encore beaucoup d’autres questions
brûlantes d’intérêt public dont un journaliste doit s’occuper en ces temps
chargés, mais nous ne voulons pas court-circuiter les événements qui sont en
train de germer. Ainsi plusieurs journaux étrangers l’ont écrit – il n’y a
aucune raison pour nous de le taire alors que notre public est suffisamment mûr
pour qu’on ne lui cache rien – ces dernières semaines le soleil se couche de
plus en plus tard et se lève de plus en plus tôt. Évitons pour le moment de
commenter ces nouvelles vagabondes – nous espérons, nous voulons espérer que le
gouvernement suivra ce point attentivement et en tiendra compte pour établir
son programme ! Parce que sinon – nous l’avertissons de ce que tout le monde
sent dans ce pays, même ceux qui n’osent pas se l’avouer : - contre
la toux, le plus efficace est de boire du thé chaud ! Même si la
corruption conservatrice combat cette conception !
De nouveau on peut écrire… Parlons ouvertement.
Pesti Napló, le 2 février 1917.