Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

 

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SOUS-TIENDRA, TIENDRA-SOUS ?

 

Un film ? Un serpent à sonnettes géant, monstra-moustra-hyperultra, six mille mètres de la tête à la queue, huit mille de la queue à la tête, vingt-huit mille au total, qui dit mieux ? Ce qui fait vingt, sur la vie privée des anciens Puniques, comme l’a écrit Enrico Ungerleider D’Annunzio, collaborateur du Figaro Punique et rédacteur auxiliaire des Dernières Nouvelles Puniques, camarade de promotion d’Hannibal, de l’École Supérieure de Commerce de Milan, ollé ! Ils ont descendu de nombreux verres, Hannibal et lui, à Szentes aussi – au fait, Hannibal ? – avait-il coutume de répondre quand on l’interrogeait, je le connaissais bien de Temesvár, un petit blond, à monocle, un super champion de piquet. Adaptation au cinéma : Ça colle. Mise en scène par Metteur en scène. Projection : Projecteur. Qui l’a vu : Les spectateurs. Avalez-moi ça !

 

Première partie

 

Sous-Tiendra, l’Anakron chenu, la petite fille du grand mufti punique, est en train d’offrir un sacrifice à Baragouin Tortueux, l’effroyable Grand Dieu des Perses. Ils font griller du lard gras trempé dans du miel et de la soupe d’agave sur l’autel principal, afin que Fou furieux, le dieu auxiliaire, intime secret effectif des Eaux et des Tonnerres ne menace plus Carthage, que les Normands veulent affamer pour mieux la briser. Le fait que pendant ce temps à proximité de Rome le Popocatépetl se soit réveillé et arrose Hódmezővásárhely, la capitale des Hellènes d’une pluie de feu, favorise leurs plans diaboliques. Le roi des Daces, Hapa Randa, dans son désespoir s’adresse à Houbliboubli, titre effroyable de Crépuscule Grigagras et de Déchigueule inapte en sacrifiant selon l’ancienne coutume dace deux pouds, trois sings de papyrus rotationnel et neuf lampes Wolfram à verre vert, et pendant ce temps neuf cents champions de vélo perses s’inclinent et chantent des vieux tapis de Smyrne en l’honneur du directeur de la manufacture.

Mais tout cela n’est pas de nature à étouffer l’amour de Sémiramis : dans l’espoir que le Voile Sacré protège son corps vierge contre les piqûres de puces, elle installe autour d’elle ses servantes esquimaudes et prend la route de Marchegg. On croirait déjà presque que Gianaclès et Hyxos, les deux Ciga Rette égyptiennes, mobilisent toute la Dace, avec à leur tête Menenius Claudius, qui se rend compte avec frayeur de cette terrible ruse de guerre, car il aurait dû naître deux cents ans plus tard pour pouvoir jouer un rôle à cette époque. Mais peu importe : dans la plaine catalaunique Attila a déjà combattu le général Joffre, et la Société des Amis des Victimes du Grand Prince Maximilien 1er, au café Balaton, tout en invoquant le dieu de l’Ersatz Puant de Café, se plaint du fait que jadis le grand prince ne soit pas arrivé à temps sous Eger, auquel cas, selon l’affirmation du chroniqueur, beaucoup de choses se seraient passées différemment, en l’occurrence on aurait peut-être pu éviter que D’Annunzio écrive un film et que je sois obligé d’aller le voir.

Entre-temps, pendant que ces choses arrivaient, la petite Salammbô, parmi ses derviches, attend en tremblant de savoir si son père saurait franchir le fleuve Himalaya. La situation est de plus en plus brûlante, parce que si la ruse ne réussissait pas, les effroyables Bolcheviks vêtus de peau de phoque et se battant avec des cerceaux d’aciers de bois attaquent Sarajevo et trouvent cette bague d’os de bœuf susmentionnée, apparue dans la légende selon laquelle celle qui la porte dans son nez reste pour toujours protégée contre les affiches publicitaires des cinémas et des aspirations d’annexion.

Une seule issue semble s’offrir : que Hunyadi, le héros de Stregova-le-Bas, arrive à se gratter l’oreille gauche avant que les soldats calcutéens campés à deux cents kilomètres n’arrivent ici. En se rendant compte que la chose ne supporte plus d’être remise à plus tard, ils construisent vite un temple à Paracha, dieu des Beautés Hellènes et des Fabricants de Papier Mâché, dans lequel flambe éternellement de la farine d’amandes brûlée du sang de jeunes vierges sous deux kilowatts. Neuf mille brigands lazzaroni oignent son corps d’huile sacrée, ils présentent quelques tranches d’oignons braisés à feux doux, servis avant le repas, à travers du verre rouge. Pendant que flambe le bûcher mystérieux, la multitude se prosterne à gauche puis à droite. Les grands prêtres murmurent d’une voix rauque « Adam le Perse ! Adam le Perse ! », par ce mot magique ils tentent d’éloigner les démons, mais en vain. La main droite de Kouropattkine, avec laquelle il comptait gratter son oreille gauche, est entre-temps amputée par un train rapide, ce qui, selon la religion des anciens rédacteurs futuristes l’exclurait à jamais du giron du Musée National, privant Lajos Kassák[1] du laissez-passer gratuit dont il avait joui jusque-là dans les trams publics.

Il est très naturel qu’après ce qui s’est passé (comme il est sans doute inutile de le dire, mais tout le monde ne l’a peut-être pas compris), Henry VIII ne peut plus rendre visite à Irenius Feldus, le hardi capitaine araméen qui, habillé en femme comme une chanteuse de musique de chambre, attendait l’issue du combat. Étant donné que les Mencheviks n’ont pas réussi à prendre en otage l’oiseau chasseur de fourmis aux sourcils dorés, il n’y a plus d’obstacle entre les amoureux. Pour notre plus grand contentement Aorta récupère l’écrin magique d’Olaful – et tout le reste s’écoule, n’est-ce pas, de soi-même. Le méchant Bongoût-Auraitaumoinsunsens paiera cher : on le clouera la tête en bas et coupé en quatre, avec des membres enroulés sur des pitons de glace ardents, sur une meule, où dans son immense ennui il s’endormira, parce qu’il n’est pas possible de maintenir plus longtemps cette connerie illimitée, ennuyeuse et insensée. Ainsi tout finit par s’arranger, sans restes et sans remords.

 

Fin

(La deuxième partie, le mois prochain)

 

Borsszem Jankó 13 janvier 1918

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[1] Lajos Kassák (1887-1967). Peintre et écrivain avantgardiste hongrois.