Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
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hongrois
amÉrique
Je vous salue… Vous devez vous souvenir de moi. Notre ami commun
Rozgonyi a bien voulu m’annoncer… oui, oui, puisque
vous avez été assez aimable pour me promettre quelques informations…
Plaît-il ?... Oui… en effet… j’ai l’intention d’aller en Amérique le mois
prochain… en effet, pour la première fois… donc, Rozgonyi
m’a dit – au demeurant, ça se discute – le mieux dans ces cas-là est de parler
avec l’accent des Américains natifs ; eh bien, par chance il se trouve que
vous parlez aussi le hongrois. Plaît-il ?... Bref, une petite vue générale
ne peut pas faire de mal – savoir ce que c’est, l’Amérique… juste comme ça, une
vue globale, pour me reconnaître ensuite dans ce monde si différent, où les
gens pensent autrement, travaillent autrement, aiment autrement.
Plaît-il ?... Oui, tout de suite, je voulais encore dire ce que j’ai déjà
si souvent souligné, ma façon de voir les choses d’ici – plaît-il ? – que
nous ne pouvons pas comprendre les Américains. Plaît-il ?... Nous ne
pouvons pas les comprendre, dis-je, parce que ceux-ci apprennent dès l’enfance à
connaître le monde d’une façon qui est différente de la nôtre. Imaginez un
enfant américain – plaît-il ? Je croyais que vous vouliez dire quelque
chose – imaginez ce qu’il voit autour de lui. Du travail, du travail et encore
du travail ; mais pas le genre de travail comme chez nous, où on se lève
le matin, on allume un cigare, puis confortablement, on se promène jusqu’à son
bureau… non, non, ne protestez pas, c’est autre chose… Parce que là-bas on voit
aussi le résultat de son travail, parce que là-bas le travail est crédible
– imaginez ces innombrables gratte-ciels, et ces fabriques et les trains et les
câbles électriques, et ce boucan, et… plaît-il ? Oui, c’est donc pour cela
que je disais, n’est-ce pas, si quelqu’un est né là-bas et a toujours vécu
là-bas… je ne veux même pas vous dire tout ce qu’il y a là-bas, parce que de
toute façon vous le savez ; mais je veux dire ce que signifie qu’un
Américain est différent de nous. Plaît-il ?!... Je comprends, je
comprends, vous n’avez pas tort, l’Américain aussi marche sur ses deux pieds –
mais quoi qu’on en dise c’est tout de même différent – il est en quelque sorte
plus gai, plus vif, plus ardent au travail… oui, oui, bien sûr… ce ne sont que
des généralités – ce sont les exemples concrets qui sont vraiment utiles ;
prenons par exemple la mode en Amérique – par exemple nous sommes totalement
incapables de comprendre pourquoi un certain jour d’été chacun doit se coiffer
d’un chapeau de paille… mais tout le monde, parce que si on voit quelqu’un dans
la rue porter un chapeau claque, on lui fait tomber son chapeau et on le
piétine… plaît-il ?... Ce n’est pas tout à fait exact ?... Ne dites
pas cela, ce que je sais je le sais de source sûre !... Mais si, c’est
comme je vous le dis, on lui fait tomber son chapeau, on lui administre même
une gifle – on ne le gifle pas ?! Mais bien sûr qu’on le gifle, que vous
le croyiez ou non – un Européen a du mal à croire une chose pareille, c’est
justement parce que nous voyons les choses autrement – les choses des femmes,
les choses des enfants ; prenons par exemple les Américaines, vous
comprenez, je sais bien qu’elles aiment bien s’habiller, elles mettent du rouge
aux joues, du rouge aux lèvres comme celles de chez nous – mais c’est quand
même différent, parce que, voyez-vous, la femme américaine travaille –
elle travaille du matin jusqu’au soir à l’usine, ou au magasin, à côté de son
mari – c’est une grande différence ! C’est normal évidemment qu’elle
jouisse aussi d’une plus grande protection, on ne peut pas l’asticoter, on
pourrait le payer cher – play or pay – comme on dit là-bas… C’est comme je vous le dis,
on lui administre une gifle s’il n’ôte pas tout seul son chapeau –
plaît-il ?!... on ne le gifle pas ?... Écoutez, cessez d’être, heu…
pardonnez-moi le mot, d’être si naïf – si je vous le dis – bien sûr, c’est
difficile à admettre pour qui ne l’a pas vu… plaît-il ? Vous l’avez
vu ? C’est moi qui ne l’ai pas vu ? – allons, la question n’est pas
là, la question est de savoir qui sait les choses – excusez-moi – vous
ne savez même pas comment est l’Amérique !!
Színházi Élet, 1923, n°49.
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