Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
la sucette
’est
devenu un très grand problème, non sans raison, parole d’honneur non sans
raison si l’on prend en compte l’esprit du temps et les composantes de la situation
géographique. Pour le moment c’est le coryphée de la santé publique qui y met
son grain de sel – il constate que la fièvre des sucettes n’est pas une simple
expression au sens figuré, qu’elle est également un terme médical en tant que
notion pathologique : en effet, elle inflige aux enfants une sorte
d’inflammation, entraînant également des symptômes légèrement fiévreux. En même
temps il s’avère sous une analyse plus approfondie que dans le cas de ce
nouveau pathogène il convient de séparer la forme et le contenu, la valeur
intrinsèque et l’aspect esthétique, le style et le sujet, de même qu’à
l’Académie, il convient de séparer l’homme et le poète comme ce malheureux Riedl[1] l’a fait lui ; il devient alors
manifeste que la matière de la sucette est du sucre pur, nourrissant et
aseptique, ne pouvant entraîner aucune inflammation – mais la forme ! La
forme, elle, est mauvaise. Car dans la bouche, pendant… euh, la consommation,
elle devient pointue, coupante comme un rasoir, et elle risque d’en blesser les
fines muqueuses.
Par conséquent, notre sage administration
souhaite souligner par son jugement de Salomon ne pas vouloir toucher à l’essentiel dans sa critique et elle a
l’intention d’interdire la forme –
elle reconnaît l’essentiel et son importance absolument nécessaire aussi bien
que la police quand celle-ci a reconnu à propos des nus de Grünwald[2] que ces nus sont des créations artistiques
mais qu’il ne convient pas de les exposer en vitrine. En avant donc – donnez
une forme nouvelle au noble contenu – une gourde nouvelle au vin
vieux !... Concourez, vous, héros de l’esprit et de l’idée, artistes,
écrivains, penseurs, fiertés de l’aristocratie intellectuelle, l’occasion est
là pour réussir, pour acquérir la célébrité, éventuellement même la
reconnaissance de l’état – créez la forme de la sucette future qui ne ferait
pas souffrir, voire plutôt soulignerait le contenu de l’essentiel intérieur, et
tout son modernisme, sa signification sociale, économique, politique et morale.
Moi, surtout de ce dernier point de vue,
j’aurais d’ores et déjà une modeste idée pour concourir. Ma devise :
"Il est utile que la jeunesse impubère se prépare de bonne heure à devenir
un membre utile de cette société" ou plus simplement "sic itur ad astra ![3]" j’imagine une figure cylindrique
avec à son extrémité une forme oblongue aplatie – cela rappellera une jambe
ravissante, élégante, bien soignée, avec un pied puissant comme il se doit –
symbole de la justesse éternelle de ce principe pédagogique : se préparer
à la vie sérieuse par des loisirs agréables.
Magyarország, 6 août 1925.