Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
deux dialogues dans l’esprit du temps
I.
Madame Bamberg : Tu n’entres pas dans l’eau ?
Madame Kombi : Je reste encore un
peu au soleil.
Madame Bamberg : Tu as vu Manci ?
Madame Kombi : Elle est
là ? Montre-moi où. Elle m’intéresse bigrement,
je ne l’ai jamais vue à la plage !
Madame Bamberg : Elle est assise par-là, avec ce
garçon.
Madame Kombi : Ouais… Je
connais le mec. C’est une espèce de doyen du Sénat ou quoi,
il a des quantités d’usines, l’année dernière
je l’ai rencontré au Móricz, il était flanqué
de son petit-fils. C’est lui, le jules de Manci ?
Madame Bamberg : Pourquoi pas, s’il est riche ?
Madame Kombi : Tiens, des pieds
plats !
Madame Bamberg : Lui ?
Madame Kombi : Non, elle. Mais les
cuisses sont pas mal. En mars elle était trop maigre, on dirait
qu’elle a pris un peu de graisse depuis, dans le dos.
Madame Bamberg : Elle a le ventre plutôt plat.
Madame Kombi : Mais non, elle a trop
de poitrine.
Madame Bamberg : Elle devrait se faire masser le cou, vers le
bas.
Madame Kombi : Plutôt les
genoux, vers le haut, autant que je connaisse les goûts du mec. Au
Móricz on le voyait toujours avec des nanas aux genoux minces et aux
cuisses grassouillettes. Il faudrait avertir Manci de
manger beaucoup de salade avec de l’huile, ça rend les chevilles
fines, mais laisse les cuisses et les poitrines abondantes.
Madame Bamberg : C’est toi qui es en
bons termes avec elle, souffle-le lui.
Madame Kombi : Sous réserve
que ce soit vraiment son mec.
II.
Bambo : Tu n’entres pas dans l’eau ?
Kamba : Je reste encore un peu au soleil.
Bambo : Tu as vu Mango ?
Kamba : Il est là ? Ça
m’intéresse, on ne l’a jamais descendu encore à la plage.
Bambo : Il est assis
là, à côté de cet homme.
Kamba : Ouais… Mais c’est le patron du totem
voisin, je le connais… Il a plein de filets, l’année
dernière je l’ai croisé sur l’Île Moric. C’est à lui qu’appartient
Mango ?
Bambo : Ben, puisqu’il
a tant de kilos.
Kamba : Tiens, il a des pieds de kangourou !
Bambo : Qui, le patron ?
Kamba : Non, Mango. Mais ses cuisses sont valables. À la pleine lune
il était un peu plus mince, il a engraissé depuis, dans le dos.
Bambo : Son ventre
n’est pas mal.
Kamba : Oui, c’est le thorax qui est trop grand.
Bambo : Il faudrait lui gaver
le cou, vers le bas.
Kamba : Plutôt ses genoux vers le haut, autant que je
puisse connaître les goûts du patron, depuis l’Île. Il
ne s’est fait livrer là-bas que des genoux fins, avec des grosses
cuisses. On devrait suggérer au surveillant de Mango de lui donner
à manger des feuilles de blettes, des olives, ça renforce les
chevilles, mais donne des cuisses tendres à la cuisson et croquantes au
four.
Bambo : Dis-le
lui.
Kamba : À supposer que ce soit effectivement le patron
qui l’aura.
*
Si le lecteur trouve les deux dialogues un
peu monotones, il pourra se consoler en les imaginant dans leur milieu. En
effet le premier a eu lieu sur la pelouse de la piscine à vague du
Gellért, tandis que le second en Nouvelle Zélande, au bord de la
mer, entre des indigènes anthropophages.
Pesti
Napló, 5 juillet 1930.