Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
ΩΡΡΙΒΛ ΔΥΕΛ[1]
Pardon pour l’orthographe, mais dans ces
modestes lignes « je chante les armes et je chante les
héros », et nommément :
Apostolidès tireur vers le ciel et
Skoïssès batteur de réclames,
les deux héros hellènes dont les noms et
dont le combat depuis quinze jours emplissent tous les parchemins et tous les
papyrus des gazettes, matin, midi et soir : ces deux Grecs veulent se
battre à mort, mais là-bas les dieux courroucés ne le
permettent pas, ainsi le stipulent Paragraphos des
délits et Ananké[2] de la proscription des duels, mais étant
donné qu’ils avaient promis à Éris[3] de se tuer l’un l’autre, ils ont en
conséquence quitté Athènes et après une navigation
aventureuse ils ont débarqué sur les rives tumultueuses de Budapestos ; et depuis, jour après jour, voire hora post hora, nous recevons
divers rapports des policiers homériportos,
annonçant que le jour de l’horrible duel approche, et que ces
deux-là vont réellement se massacrer sous nos yeux.
Ces prémices de cet héroïque
courage, de ce mépris de la mort, devenus tempête, furent rendus
pour nous légèrement supportables par le modeste raisonnement que
celui qui craint davantage une amende pour un délit de duel que la mort
que ledit duel pourrait entraîner et il est capable d’aller aussi
loin pour l’éviter, ne peut pas être trop fortement en
colère. Notre pressentiment ne nous trompa pas : les deux
Hellènes se sont enfin battus, et il s’avéra qu’en ce
qui concerne le mépris de la mort, ils méprisent tellement cette
mort qu’ils ne la laissent pas venir à proximité, surtout
pas. Ils ont donc tiré si bien en l’air qu’ils y ont fait
des trous ; il faudrait une sacrée Pénélope pour les
rapiécer.
Déjà à l’école cette
affaire grecque avec les héros m’était suspecte. Mon fils,
lui, qui a déjà entendu dire des choses et d’autres sur la
guerre, et qui chaque matin voit Kaszala[4] blaguer en l’air au-dessus de notre maison,
hausse les épaules quand il lit des textes sur les dragons
d’Héraclès. Il considère comme torture aux animaux
d’exécuter aussi lentement un pauvre dragon sans défense,
alors que le ramasseur de chiens ne manque pas d’administrer une
piqûre de cyanure aux bêtes.
Ces anciens peuples surestimaient le courage.
Ils devaient être de sacrés
poltrons !
Az Est, 5 octobre 1930.