Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
TON DIRECT
(Humoresque
régulière)
Car qu’est-ce
qui peut faire effet humoristiquement sur le lecteur pressé
d’aujourd’hui ? C’est très simple. Le ton direct, l’absence
d’artifice, la sincérité. C’est cela qui marche
immanquablement. En peinture l’esquisse,
l’étude, le travail d’atelier, en musique les bruits, au théâtre
l’idée spontanée, la commedia
dell’arte, en rhétorique l’improvisation.
L’humoriste fera donc mieux de ne pas se casser
la tête pour en extraire quelque chose d’étrange et
d’original.
Il fera l’effet le plus étrange et le
plus original s’il n’invente rien, s’il se donne
lui-même, improvisé, à l’instant même où
il écrit son humoresque.
Le ton direct !
La sincérité !
Alors ?
Donc – la chose est toute simple.
Que se passe-t-il en effet dans son esprit quand il
s’apprête, sur un ton sincère et direct, à
écrire une humoresque ?
Il se passe qu’il ne se passe rien. Puisque
sinon, alors il ne s’apprêterait pas mais déjà il
écrirait, parce qu’il aurait quelque chose à écrire.
Mais comme il n’a rien, la sincérité et le ton direct
sonnant si originaux et si surprenants consisteront cette fois tout simplement
à l’avouer.
C’est magnifique ! C’est
grandiose !
Résumons : il s’agit d’un
humoriste, d’un homme-idée contemporain et moderne, qui n’a
pas la moindre idée, qui n’est pas en état de trouver un
sujet.
Il va donc mettre sur papier ce comique de
caractère et de situation extraordinairement drôle et
amusant : ha, ha, ha ! Un humoriste qui n’a rien à
dire !
Nous avons donc le personnage. Qu’est-ce qui
devrait maintenant lui arriver ?
Cet humoriste héros de l’humoresque se
tient donc là, devant nous, sans savoir que faire, de quoi
s’occuper, puisqu’il n’a pas de sujet.
Alors il lui vient une idée salvatrice.
L’œuf de Colomb !
Il adoptera un ton
direct et il s’écrira lui-même :
autrement dit il écrira l’humoriste qui dans l’humoresque
sera là devant nous, et ne saura pas de quoi s’occuper
puisqu’il n’a pas de sujet !
Il n’est pas nécessaire d’aller
plus loin. Ce serait trop spirituel, il ne faut pas gaspiller tant
d’esprit pour une humoresque, il vaut mieux vendre l’idée
comme sujet pour un film burlesque.
Ce film aura un succès fracassant. Il y a des
exemples. J’en félicite le spirituel l’auteur.
Je félicite aussi le public qui aime ça.
Pesti Napló, le 28 janvier 1931.