Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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COMMÉRAGE

Jadis, à ses tout débuts, le journalisme (aujourd’hui une force décisive très puissante) n’était que commérages, cancan, bla-bla, instants d’intimité à la cour ; c’est-à-dire bavardages, chuchotements de vieilles dames, bruits rapportés au café, mots murmurés à l’oreille dans un coin.

Aujourd’hui j’ai pensé que le principal porte-voix public, la radio, constitue semble-t-il un retour vers cette forme archaïque de la communication des "nouvelles".

N’est-ce pas vrai ?

Un petit nombre de personnes s’isolent, s’enferment dans une petite pièce, et murmurent des nouvelles fraîches dans un petit cube placé sous leur nez, comme dans une oreille avide. Et des millions de personnes, séparément, chacune dans son environnement familier, sa chambre, derrière des murs fermés, se penchent à l’autre oreille du mécanisme (ça entre par une oreille et ça sort par l’autre), ils écoutent "ce cancan" comme s’il était adressé exclusivement à chacun.

C’est seulement le matériel qui a pris les couleurs du temps, il s’est élargi, il s’est modifié, mais pour l’essentiel il ne s’agit que de commérages, et l’imagination humaine n’en garde de son contenu que ce qui est suffisant pour en confectionner une image.

Je me prélasse par exemple ici sur le canapé et j’écoute la radio.

La dame du café qu’aujourd’hui on a rebaptisée speakerine est en train de nous raconter que, comment dire, l’agence de presse belge communique qu’en Angleterre la livre sterling a baissé, conséquence d’une certaine inquiétude politique, parce que la rumeur évoque la possibilité d’un rapprochement germano-français et l’Angleterre craint un pacte secret.

C’est super, hein ? On rigole. C’est du joli ! Je vois devant mes yeux, en couleurs vives, l’Angleterre, le mari, descendre soucieusement l’escalier. Il rencontre le facteur, celui-ci lui remet une lettre adressée en fait à son épouse, la France. Il l’ouvre, que lit-il ? Il y trouve une offre de ce couillon de Germain ! Il se rue dans la chambre à coucher de Madame, à Paris, il les prend en flagrant délit, en train de négocier, ce qui ne manque pas de faire chuter d’effroi la livre sterling. Une sacrée histoire, n’est-ce pas ? J’ai déjà dit il y a longtemps que cette femme m’est suspecte… !

Elle est mignonne, cette radio, avec ses commérages.

On a aussi chuchoté là-dedans que l’Europe rencontre quelques désagréments, qu’est-ce que vous en dites… On dit même qu’elle ne peut plus payer. C’est bien fait pour elle, elle faisait trop la fière, elle sera moins vantarde dans l’avenir.

Et le Japon vous en pensez quoi ? Vous n’êtes pas au courant ? Eh bien, c’est une histoire de fous, figurez-vous qu’ils se sont bagarrés, lui et la Chine, à cause de la Mandchourie, mais la Mandchourie ne veut aller ni à l’un ni à l’autre, elle chiale là dans un coin…

Eh bien… Mais c’est drôlement intéressant ! Et dis-moi, ma chérie, qu’est-ce qu’ils ont fait après ?

Je ne sais pas encore, attends, écoutons la radio.

 

Az Est, le 29 novembre 1931