Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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Explosion atomique

36a explosion atomique loi modeste (lit le journal) : Inouï ! Admirable !

Monsieur Kovács : De quoi parlez-vous ?

Moi petitesse : Ce que je lis ici une fois de plus, c’est follement intéressant.

Monsieur Kovács : Allez-y, dites toujours.

Moi enthousiaste : Vous savez, ils en parlaient depuis belle lurette, mais cette fois il paraît qu’ils ont réussi !

Monsieur Kovács : Qui ça ?

Moi éloquent : Ceux-là, ici, au laboratoire, qui tentent depuis longtemps de le faire exploser. Vous savez, ce qui compte, l’essentiel de la chose, le problème central – réussit-on ou non à le faire exploser, parce que si oui, nous aurons un tel pouvoir entre nos mains, comme on n’en a jamais vu dans l’histoire du monde ! Et là, tenez, je viens de lire qu’ils l’ont fait exploser !

Monsieur Kovács : Mais quoi ?

Moi naïf : Quoi, mais l’atome ! Ils ont fait exploser l’atome, ces gens extraordinaires, et par là même ils ont libéré une source d’énergie terrifiante – une force pour gouverner le monde dans une poignée de sable ! Imaginez ! Cette explosion atomique permettra de remplacer la force motrice des moyens de transport par…

Monsieur Kovács : Ah bon.

Moi digne : Bien sûr que c’est bon ! Ayant vaincu la nature, la clé est entre nos mains, le pouvoir est à nous !

Monsieur Kovács : Donc vous l’approuvez.

Moi hurluberlu : Comment je pourrais ne pas l’approuver, puisqu’un monde nouveau pourrait naître de là, le bien-être pourrait en jaillir pour tous les hommes, des sources cachées et latentes peuvent se libérer, le labeur humain deviendra plus facile, le niveau général s’élèvera et…

Monsieur Kovács : Et vous, vous m’avouez tout cela tranquillement et vous n’avez pas peur.

Moi distrait : Peur de quoi ?

Monsieur Kovács : Peur de moi, que j’aille vous dénoncer.

Moi ahuri : Me dénoncer, moi ? Pourquoi ?

Monsieur Kovács : parce que vous vous permettez d’approuver cela.

Moi étonné : Quoi ?

Monsieur Kovács : Ce machin, cette explosion, qu’ils l’ont fait exploser et que par-dessus le marché vous étiez au courant, vous l’avez dit vous-même, et vous n’avez prévenu personne, et maintenant vous vous en réjouissez comme si vous l’aviez fait exploser vous-même.

Moi effaré : Pourquoi je ne m’en réjouirais pas, même si ce n’est pas moi qui l’ai fait exploser ?

Monsieur Kovács : Alors vous êtes de mèche avec eux. Ne me racontez pas d’histoire, personne d’autre qu’eux ne pouvaient le faire exploser, c’est sûr que c’était les communistes, regardez bien, vous verrez que c’est moi qui ai raison.

 

Pesti Napló, 24 juin 1932.

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