Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
Explosion atomique
oi
modeste (lit le journal) : Inouï ! Admirable !
Monsieur
Kovács : De quoi parlez-vous ?
Moi
petitesse : Ce que je lis ici une fois de plus, c’est follement
intéressant.
Monsieur
Kovács : Allez-y, dites toujours.
Moi
enthousiaste : Vous savez, ils en parlaient depuis belle lurette, mais
cette fois il paraît qu’ils ont réussi !
Monsieur
Kovács : Qui ça ?
Moi
éloquent : Ceux-là, ici, au laboratoire, qui tentent
depuis longtemps de le faire exploser. Vous savez, ce qui compte, l’essentiel
de la chose, le problème central – réussit-on ou non
à le faire exploser, parce que si oui, nous aurons un tel pouvoir entre
nos mains, comme on n’en a jamais vu dans l’histoire du
monde ! Et là, tenez, je viens de lire qu’ils l’ont
fait exploser !
Monsieur
Kovács : Mais quoi ?
Moi
naïf : Quoi, mais l’atome ! Ils ont fait exploser
l’atome, ces gens extraordinaires, et par là même ils ont
libéré une source d’énergie terrifiante – une
force pour gouverner le monde dans une poignée de sable ! Imaginez !
Cette explosion atomique permettra de remplacer la force motrice des moyens de
transport par…
Monsieur
Kovács : Ah bon.
Moi
digne : Bien sûr que c’est bon ! Ayant vaincu la
nature, la clé est entre nos mains, le pouvoir est à nous !
Monsieur
Kovács : Donc vous l’approuvez.
Moi
hurluberlu : Comment je pourrais ne pas l’approuver,
puisqu’un monde nouveau pourrait naître de là, le
bien-être pourrait en jaillir pour tous les hommes, des sources
cachées et latentes peuvent se libérer, le labeur humain deviendra
plus facile, le niveau général s’élèvera
et…
Monsieur
Kovács : Et vous, vous m’avouez tout cela
tranquillement et vous n’avez pas peur.
Moi
distrait : Peur de quoi ?
Monsieur
Kovács : Peur de moi, que j’aille vous
dénoncer.
Moi
ahuri : Me dénoncer, moi ? Pourquoi ?
Monsieur
Kovács : parce que vous vous permettez d’approuver
cela.
Moi
étonné : Quoi ?
Monsieur
Kovács : Ce machin, cette explosion, qu’ils
l’ont fait exploser et que par-dessus le marché vous étiez
au courant, vous l’avez dit vous-même, et vous n’avez
prévenu personne, et maintenant vous vous en réjouissez comme si
vous l’aviez fait exploser vous-même.
Moi
effaré : Pourquoi je ne m’en réjouirais pas,
même si ce n’est pas moi qui l’ai fait exploser ?
Monsieur
Kovács : Alors vous êtes de mèche avec eux.
Ne me racontez pas d’histoire, personne d’autre qu’eux ne
pouvaient le faire exploser, c’est sûr que c’était les
communistes, regardez bien, vous verrez que c’est moi qui ai raison.
Pesti
Napló, 24 juin 1932.