Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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Gifle

Oui – dit l’Homme psychanalysé, un peu hésitant – oui, je n’ai pas bonne mine, c’est vrai, mais la cause en est plutôt économique que corporelle : mes conditions matérielles ne me permettent pas de m’adonner à fond aux soins de mon corps, comme par exemple prendre régulièrement un déjeuner. D’ailleurs il y a un an, lorsque j’étais encore en traitement, mon médecin avait prédit que la réminiscence des souvenirs toujours latents dans la case inférieure de ma conscience risquerait de se défouler encore un certain temps, selon l’ordre perverti de mon Moi Supérieur, sous la forme d’une inclination autopunitive – cela signifie que nécessairement je me mortifierai. Même ce travail alimentaire, si je ne l’ai pas reçu dernièrement, c’est parce qu’inconsciemment je ne voulais pas l’obtenir, j’ai tout fait contre, je me suis puni.

On pourrait demander que… pourquoi n’a-t-il pas chassé par l’analyse ce truc-là aussi… cette case de souvenirs, ce qui aurait pu me conduire à une guérison complète…

Tu vois, le problème réside en ce que cela aurait nécessité au moins une année entière, alors que, compte tenu du fait que durant les trois années du traitement…

Écoute, je vais te raconter comment tout cela a commencé.

Voilà quatre ans, quand… Bref, le jour où sur la plage j’ai sursauté pendant mon bain de soleil, avec l’idée de courir gifler Lajos Molmstrudel, qui faisait répandre sur mon compte cette rumeur à propos de mon affaire florissante…

Bon, mais tu connais le petit Fuksz. Le petit Fuksz m’a retenu. Il m’a expliqué qu’une telle gifle ne servirait à rien, selon les expériences de la psychanalyse moderne il s’agit ici de tous autres désirs, ce sont ceux-là qu’il convient d’identifier, en guérir, je devrais aller voir Wiesenmensch, le psychanalyste, plutôt que d’administrer des gifles ici, sans parler des frais de procès et les dommages et intérêts que je devrais éventuellement débourser.

J’avoue qu’à moi, alors homme d’affaires à l’âme tourmentée qui ne savais pas encore pourquoi j’amassais de l’argent, c’est ce dernier argument qui a pesé : il a raison, le petit Fuksz, ai-je pensé, pourquoi devrais-je payer une amende pour une gifle, je ne suis pas fou.

Je suis donc allé voir Wiesenmensch.

- Et, tu vois, le traitement a duré trois années.

Après trois années de travail commun assidu, effectivement ce n’est plus Molmstrudel que je voulais gifler comme je le croyais consciemment, mais c’était inconsciemment Kirschenwasser dont le cousin était amoureux de ma tante.

Mais dorénavant il était impossible de régler cette affaire, car – Kirschenwasser était mort depuis vingt ans, alors que Molmstrudel vit très bien, ce salaud, parce qu’entre-temps j’ai un peu négligé mes affaires, c’est lui qui avait raison, c’est lui qui s’enrichit là-dessus.

La seule chose qui me console est qu’il n’y a personne pour analyser ça.

 

Pesti Napló, 27 mai 1933.

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