Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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Monopoly

Cest le nom d’un nouveau jeu de société qui nous vient d’Amérique et auquel certains commencent déjà à jouer prudemment à Budapest. En hongrois on pourrait le baptiser "Boursicot" ou encore "Concurrence".

Un jeu intéressant et novateur.

Un grand plateau ovale est étalé sur la table, il ressemble à un champ de courses. Des chiffres, des cases alternent dans des couleurs variées. Dans les cases des inscriptions, par exemple "Banque", "Terrain", "Usine", "Bloc d’immeubles à vendre", "Mines" et tout un tas d’autres, y compris "Hôpital" et "Sanatorium".

Chaque joueur lance à son tour deux petits dés, et si à la distance de la somme lue sur les dés on décroche une étoile de chance, cela signifie qu’il peut ajouter telle et telle somme à son "capital de base", avec laquelle il peut et même il doit investir, parce que l’argent doit tourner, il ne doit jamais dormir, sinon en quelques tours le propriétaire "l’aura mangé" et l’argent se sera évaporé, étiolé, comme dans la réalité, et on pourra tout recommencer à zéro. On doit prendre part à la compétition financière, c’est pourquoi le concurrent ayant empoché du capital (et que la banque lui remet en jetons) reçoit tout de suite un paquet de cartes dont il doit tirer une. Sur ces cartes on lit des instructions diverses. Quelques exemples : Achetez les actions des mines indiquées au numéro X. et occupez-les immédiatement. Expropriez le grand terrain à bâtir qui se trouve à l’emplacement Y., et la prochaine fois que vous aurez de l’argent frais, vous pourrez acheter du matériel de construction à la briqueterie N., votre immobilier aura telle et telle valeur, vous pourrez le revendre avec bénéfice ou, si les dés tournent mal, avec perte. Chaque joueur dépose son jeton dans la case qu’il a achetée et qui est devenue sa propriété. Au cas où dans la case visée il y a déjà un propriétaire, c’est à ce dernier qu’il est loisible de reprendre le terrain à un prix supérieur au prix d’achat initial, mais le joueur fera peut-être une meilleure affaire s’il vise une autre case encore vide à acheter.

Le jeu se déroule et se poursuit ainsi. En dehors de la chance, le sens commercial, la témérité et l’envie d’entreprendre y jouent un rôle essentiel, car le joueur décide à sa guise comment investir son argent disponible dans les affaires.

Le jeu se poursuit jusqu’à "l’accumulation" finale, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’un des joueurs se soit approprié toutes les entreprises et contrôle seul le marché – les autres auront évidemment tout perdu.

Avec une comparaison plutôt brutale, ce jeu rappelle le jeu des "chaises musicales" : à ce cri chacun quitte l’arbre qu’il occupait, les enfants courent en tous sens pour occuper un nouvel arbre ; un d’entre eux restera sans arbre et cela recommence. Mais n’oublions pas qu’après la guerre la vie économique du monde entier ressemblait à ce jeu – le tremblement de terre a chassé tout le monde de son nid, tout venant cherchait un nouvel abri, une nouvelle situation, mais pour l’obtenir la compétence ne suffisait pas, il fallait surtout de la chance, du capital et du flair.

Tout compte fait, si l’on affine les règles de bases, je prédis un long avenir à ce jeu instructif et intéressant, sinon sur le plan pratique, en tout cas sur le plan théorique. Le Monopoly a le même rapport à la lutte économique réelle que le noble jeu d’échecs à la véritable science de la stratégie. Il paraît que les grands chefs de guerre ont été bons joueurs d’échecs, même si l’inverse n’est pas vrai.

 

Pesti Napló, 24 juin 1937.

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