Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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quelques phrases de joepardy

Je vous ai déjà parlé de Joepardy[1], le grand poète Hindou qui vit sur un îlot près de Madagascar, en compagnie d’animaux sacrés et de plantes exotiques, tout seul. Il écrit en langue bengali, parlée par quatre-vingts millions de personnes, en Orient. Une grande partie de son œuvre, traduite aussi en anglais sous le titre collectif "Under the golden key" (Sous la clef d’or), est connue de tout homme cultivé, ou plus exactement, est ignorée par tout homme inculte. C’est pourquoi je supplie mes lecteurs qui souhaitent que je les considère comme des hommes cultivés de ne pas dévoiler qu’ils ignorent les œuvres de Joepardy, ou pire, qu’ils n’ont jamais entendu prononcer son nom ! Par prudence, quand nous parlons de Joepardy (il convient d’en parler souvent), on fait bien de commencer chaque phrase par : « comme chacun sait ».

Comme chacun sait, Joepardy n’écrit ni roman, ni nouvelle, ni essai, il n’est auteur que de courtes phrases, d’aphorismes, mais chacune de ses courtes phrases recèle plus de sagesse, de vérité filtrée condensée, que maintes études en cinq volumes. Ses phrases sont comme le radium, filtrat et essence de milliers de quintaux de pechblende. Selon les experts, Joepardy est le génie le plus merveilleux, le plus concis et le plus flamboyant de notre siècle, il exprime le plus pleinement l’âme asiatique dont émane une clarté mystérieuse et pourtant aveuglante, sa profondeur dépasse la hauteur de Rabidranath Tagore et ses hauteurs atteignent les profondeurs réunies de Bouddha, Lao-Tseu et Confucius. (En général à son propos on parle souvent de profondeur et de hauteur, il est le pilote et le scaphandrier de l’âme. C’est pourquoi on ne le rencontre jamais à la surface de la Terre.)

Une société anglaise de recherche des profondeurs vient de réunir les récentes phrases de Joepardy sous le titre de "Sur l’autre rive". J’essaye ici d’en publier quelques-unes dans ma traduction rudimentaire, un échantillon.

 

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« En face de chaque rive au-delà se trouve la rive en deçà. » (En parenté avec la phrase de Jenő Heltai « Tout se trouve sur l’autre rive ».)

« Les sommets des montagnes se trouvent en haut. »

« Les poissons ne mentent pas. »

« Le présent est le passé de l’avenir. » (En allemand : Gegenwart ist die Vergangenheit der Zukunft. – En anglais : Present is he past of the future.) Une des plus profondes découvertes du siècle. On en connaît plusieurs variantes : « L’avenir est le présent du passé », « Le passé est le futur du présent », etc.

« Le beaucoup est l’ennemi du peu. »

« Le là-bas est plus près du loin que le ici du près. »

« Le bien est un bon meilleur que le mal n’est un mauvais pire. »

 

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J’invite mon lecteur de ne surtout pas approuver ces aphorismes.

 

Magyarország, 15 juillet 1937.

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[1] Dans le journal Pesti Napló, en novembre 1936.