Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
propagande D’État
Notes pour
Nous sommes encore
loin des volumes "P" et "R" de la Nouvelle Encyclopédie où
les entrées "Réclame" et "Propagande" seront analysées –
hélas l’Encyclopédie se prépare lentement, pendant ce temps la vie continue,
l’esprit du temps applique les signaux habituels à des phénomènes nouveaux dont
il n’y avait pas eu d’exemple, par contre le politicien qui produit ces
phénomènes est trop paresseux pour chercher de nouveaux mots pour les désigner !
Le politicien est paresseux, le poète est réticent, et pendant ce temps le
minuscule champignon enflé en gigantesque citrouille se trouve là, avec sa
désignation ancienne, telle un vieux monsieur à qui on aurait oublié d’ôter son
surnom de nourrisson, ou telle le malade optimiste qui appelle toujours bouton
ou comédon sa tumeur cancéreuse envahissante.
Parce que même si cette chose que ce siècle
a dénommé "réclame" s’est bien multipliée et répandue à travers le
siècle dernier, on ne peut pas la désigner autrement que l’inévitable bouton
d’acné du magnifique progrès de l’industrie et du commerce. Les siècles
précédents ne connaissaient pas cette notion. Son culte envahissant a démarré
sur les traces d’une découverte psychologique importante – cette découverte a
été amenée par l’ordre de production capitaliste. Elle consiste brièvement en
ce que la loi de l’offre et de la demande appliquée aux larges masses n’est pas
déterminée par les besoins réels mais par les besoins imaginaires
(en contradiction avec la théorie de Marx mathématiquement juste, mais
psychologiquement peu fondée). Oui, il s’est avéré que l’imagination humaine –
nous pourrions l’appeler illusion – en tant que "consommateur" est un
facteur de plus grande notoriété à cette foire qui justement pour cela porte,
vraiment et non seulement imaginairement, le nom de "foire aux
vanités", comme besoin humain. Traduit en langage commercial cela signifie
aussi qu’il est plus important pour le producteur d’exercer un effet sur
l’imagination affamée que sur l’estomac affamé, car les hommes ne mangent
pas ce dont ils ont besoin mais ce que leur appétit leur dicte – or ce
n’est pas l’estomac qui fait l’appétit, mais c’est l’œil, victime assurée du
tape-à-l’œil et de la fumisterie. C’est ainsi qu’est né et a victorieusement
grandi la réclame industrielle, partant de l’idée qu’en masse les hommes
ne portent pas sur leur corps, n’avalent pas, ne font
pas entrer dans leurs oreilles, leur cœur, leur cerveau, ce qui correspond à
leur goût, plaisir, envie, idées personnelles – mais ce que moi, producteur,
leur dicte, par le biais de la dictature plus impérative que tout besoin ou
toute loi de la nature : la dictature de la mode.
Donc tout le monde connaissait et
comprenait et acceptait cette dictature, personne ne se révoltait contre elle
car à quoi cela aurait-il servi ? Puisque cette fameuse mode n’a jamais
exigé qu’au-delà de l’imagination je lui rende hommage avec mon consentement,
ma conviction et mon enthousiasme, que je la hisse sur un piédestal. Pour citer
un exemple pratique, si j’ai acheté la pochette à la mode dont personne n’a
besoin et que des millions d’hommes portent parce que les autres la portent
aussi, le fabricant n’a jamais exigé qu’en plus de l’agrafer je chante sa
gloire, je la chérisse publiquement, je participe
à sa promotion publicitaire et j’exige d’autres aussi qu’ils la portent – le
fabricant s’en charge et l’inclut dans ses frais généraux.
Le problème a commencé quand la pochette,
glissant un peu plus haut dans la boutonnière, s’est transformée en un symbole
et une bannière, au service d’intérêts politiques dissimulés derrière des
idéaux politiques. En effet, un idéal est autre chose, initialement il n’est
pas œuvre d’imagination, mais de raison et de compréhension, sa route conduit
par sa justification avérée juste, ou au moins crue juste, jusqu’à son
acceptation ou son rejet. C’est quelque chose qui ressemble aux thèses de la
science que nous apprenons à l’école, accompagnées des explications jointes.
Personne n’a l’idée (tout au moins pour le moment) de faire de la réclame au
tableau de Mendeleïev ou au théorème de Pythagore, ni à la guérison du diabète
– ces connaissances se répandent par le monde sans réclame, tout comme se
répandent le pain ou l’eau sans lesquels on ne peut pas vivre.
Au début aucun pédagogue sérieux n’aurait
songé, pas même dans les sciences de l’État, de placer son enseignement sur la
base de la psychologie de la réclame. Dans la mesure où cela servait les
intérêts d’un pays, de façon très saine l’État empruntait ces méthodes pour
clamer, sous la dénomination de "propagande", les valeurs naturelles
et culturelles d’une région, d’un pays, compte tenu des avantages économiques
provenant du tourisme, aussi ouvertement et franchement qu’une grande marque
propose ses marchandises. Ouvertement, franchement, honnêtement, et
généralement de bonne foi – n’oublions pas l’intérêt qu’a éveillé au début du
siècle le déplorable Clissold de Wells, ce
livre intéressant, enthousiaste, mais hélas naïf, dont le héros célébrait la
publicité (pensant naturellement toujours à la publicité industrielle) comme
nouvelle opportunité pour l’éducation populaire, mettant ce culte né par
intérêt au service d’une science désintéressée.
Wells ne voyait pas encore clairement
(pourtant il rendait compte dans le même livre des amères déceptions de son
voyage en Italie) où le culte glorifié prit en ce temps-là un tournant décisif
– non pas dans le sens des sciences, mais dans un sens bien différent.
La propagande soviétique ne s’est pas
contentée d’utiliser l’énergie mobilisant massivement la force de l’imagination
pour promouvoir les beautés naturelles de la Russie. Un nouveau miracle a vu le
jour : la réclame politique produite par l’État. Dans sa forme elle met
tout en œuvre pour imiter et perfectionner l’ancienne réclame industrielle,
avec des spots lumineux, des défilés solennels, des affiches murales, des
retraites aux flambeaux, des oriflammes et des "marques déposées" –
quant au contenu…
Eh, en ce qui concerne le contenu, on ne
pouvait pas là non plus tortiller la chose : le contenu était donné en
tant que marchandise et article industriels sur lequel s’est édifiée la
nouvelle constitution et ce que la nouvelle constitution était constamment
contrainte de produire et de fabriquer, n’ayant rien d’autre à se mettre sous
la dent.
Mais cette matière s’appelait autrefois idée
et on n’entendait par là rien de matériel : la forme et le contenu sont
devenus contradictoires.
Et cette contradiction n’a pas cessé et ne
pourra pas cesser avant la naissance de la Nouvelle Encyclopédie qui, comme
l’ancienne, aura la vocation de redresser le Bon Sens marchant sur la tête.
Car quelles que soient les limites de la
propagande, la qualification scientifique et la définition du terme
"réclame" ne pourront pas commencer autrement dans cette Nouvelle
Encyclopédie que par ces mots :
Communication sans fondement,
Affirmation sans argumentation,
Thèse sans preuves.
Pesti Napló, 14 novembre 1937.
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