Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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Collections

On a souvent essayé d’analyser, car ce n’est toujours pas suffisamment clair, quels sont les critères de ce feu dans l’âme humaine que nous appelons "passion de collectionneur". Collections de timbres, puis de cannes et de pipes, jusqu’à collectionner l’argent, tous les hommes collectionnent quelque chose, même sans le savoir, et même dans ce dernier cas avec encore plus de flamme puisqu’on n’en est pas gêné.

La psychanalyse freudienne avance une théorie repoussante de l’origine de cette idée fixe, je préfère ici m’en passer. Selon mon habitude, je n’accepte ou je ne fabrique des théories qu’à la condition d’être en mesure de vérifier leur justesse sur moi-même.

Naturellement, depuis l’enfance j’ai essayé de collectionner toutes sortes de choses. Des plantes et des insectes, plus tard des connaissances et des sympathies. J’ai bientôt renoncé à collectionner ces dernières, matières aisément périssables ; imaginez que quelqu’un collectionne par exemple des médicaments et un jour il voit qu’ils se sont transformés en poisons dans son armoire, sans qu’il y soit pour quoi que ce soit. J’ai rassemblé un jour une collection de briquets dont j’étais très fier, je l’avais commencée pendant la guerre, avec des briquets faits de douilles usagées. Puis c’est passé comme le reste.

Nous avons un rapport intéressant avec la collection de nos expériences. Il serait logique qu’on les collecte quand on est jeune, pour un usage ultérieur. Mais en matière d’expériences, l’expérience montre qu’on commence à apprécier leur valeur quand elles ne servent plus à rien : en lieu et place d’expériences on pourra tout au plus collecter des expédients, pour panser les plaies que l’on s’est faites par manque d’expérience. Cela concerne en particulier les expériences en amour. Quand j’aurai soixante ou soixante-quinze ans, je prévois que j’en serai tout à fait savant et expert. Quand on est vieux, on découvre enfin ce qu’on pourrait faire de sa jeunesse.

Il existe aussi des collectionneurs délirants. Jeune journaliste, j’étais présent à Cinkota le jour de l’ouverture des fameux tonneaux de tôle de Béla Kiss, et on y a trouvé dans chacun, soigneusement replié et conservé dans de la bouillie bordelaise, un cadavre de femme. Ce romantique extravagant y avait rangé l’enveloppe terrestre de ses amours, à l’instar des rêveurs, courtois chevaliers, qui collectionnent des mèches de cheveux ou des lettres d’amour.

Je soupçonne que tout ce goût collectionneur a une explication simple et modeste ; on ne l’a pas remarquée parce qu’elle est trop évidente. L’homme collectionne instinctivement car il craint des temps plus rudes, quand il ne pourra plus cueillir. Il est certain que cette préoccupation, cette angoisse nous échoit en héritage de nos ancêtres animaux et végétaux, des fourmis et des abeilles. Les musettes, tout comme les poches des fracs élégants, sont de la même façon des descendants directs des bajoues et de la poche des kangourous. Je suis persuadé que la passion de collectionner est bien plus intense chez les habitants des zones tempérées où il faut penser à l’hiver.

Nous pouvons dès lors porter un regard plus indulgent sur les cambrioleurs également. Et ce sera une solution de bon ton, et pas du tout un hasard, qu’ils terminent leur carrière enfermés en maisons de collection.

 

 Az Est, 6 février 1937.

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