Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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jusqu’À quand ça va durer ?

Permettez-moi de remarquer avec modestie mais étonnement que je ne comprends pas qu’il existe encore des gens qui ne voient pas clairement la situation. Ça vient de ce que les gens ne savent pas lire les événements qui sont pourtant suffisamment clairs et loquaces pour faire comprendre ce qui devra arriver. Après les déclarations des grands hommes d’État européens, il suffit à chacun d’un peu d’imagination pour se résumer la situation et en envisager les conséquences logiques.

Mais voyons, la chose est vraiment simple. Lord Derby a enfin rompu avec la méthode des allusions obscures et des circonlocutions prudentes, dans son dernier discours il a ouvertement déclaré sans aucune ambiguïté possible, que l’Angleterre ne peut en aucune façon éviter de reconnaître que certaines évolutions risquent d’entraîner une adaptation de sa politique de guerre précédente aux nouvelles circonstances. Il ne veut, affirme-t-il, aucunement dire par là que, du point de vue militaire, les mesures pouvant être prises en considération ne pourraient pas à tout moment suspendre les conséquences d’une portée extraordinaire d’un éventuel nouveau conflit.

Après ces paroles, nous tous qui jusqu’alors tâtonnions dans la pénombre, pouvons nous sentir soulagés et nous écrier : enfin on sait au moins à quoi s’en tenir. Ajoutons à cela la récente déclaration de Wilson, ce petit chef-d’œuvre convaincant et bouillonnant de sève d’un visionnaire, de virile simplicité et de courageux franc-parler, qui, sur le ton des apôtres, faisant trembler les siècles, crie vers l’Europe à travers l’océan : « oui, nous menons une réflexion approfondie pour savoir si une ou plusieurs personnalités morales, morales dans une mesure déterminée ou indéterminée, autrement dit un ensemble de personnalités, qui selon les critères des relations internationales représentent à notre égard une certaine position, peuvent oui ou non, selon les conséquences internationales de cette position, représenter un certain point de vue, et si oui dans quelle mesure si l’on prend en considération leurs capacités transformatrices !!!… »

À supposer qu’il reste quelqu’un qui, même après tout cela, ne comprend pas jusqu’à quand la guerre devra durer, il doit reconnaître que les mots de Bethmann-Hollweg dans lesquels il refuse énergiquement l’hypothèse selon laquelle les conditions de l’Allemagne n’autorisent pas aujourd’hui encore l’application d’une combinaison propre à la survenance prévisible de certains événements : ces mots expliquent tout ! Il est évident que István Tisza a fait allusion aux mêmes conditions quand, en authentique visionnaire, il a attiré notre attention sur l’éventualité que des mesures de politique de guerre produisent dans un proche avenir des rapports de force que seule une prudence circonspecte la plus pondérée pourrait mesurer du point de vue de la marche à suivre !!!…

Que faut-il de plus ? Faisons la somme de toutes ces déclarations et la réponse à toutes nos questions torturantes et obscures apparaît d’elle-même pour ne pas dire qu’elle nous monte aux lèvres. Compte tenu de ce qui précède et si l’on y ajoute le point de vue du Japon, sans oublier l’affirmation quasi quotidienne de l’ambassadeur du Mexique sur une participation latino-américaine à une guerre éventuelle, il ne reste plus que de retrancher la déclaration de Lansing de l’attitude menaçante du premier ministre suédois, d’y ajouter trois, de la multiplier par deux déclarations de guerre, de jeter la moitié dans la mer Baltique, d’y ajouter vingt-neuf, de bien pétrir le tout, de faire mijoter à feu doux, alors qu’en sortira-t-il ? Il en sortira quarante-deux plus six racine carrée de quatre cent vingt-six,  divisé par zéro. Après mûre réflexion, une fois les allusions de politique internationale rendues claires par ce qui précède, nous devons pouvoir nous former une conviction qui, si on la détaille, pourrait bien se résumer dans l’expression , , o-àào !!! x représente la coupe du triangle, b est le coefficient, c est le tonnerre de Dieu qui fait frissonner les frondaisons aux arbres de l’avenue Űllöi au lieu de faire quelque chose d’utile. En effet, il est évident que le Brésil ne peut rien faire, mais il existe toujours un imbécile qui fait rouler les barils de pétrole sur ma tête, pourtant le médecin chef a fermement prescrit à l’infirmier de se garder de mettre des barres de soufre dans ma soupe quand j’ai envie de faire du canotage.

J’espère avoir convaincu tout le monde qu’elle ne pourra pas durer plus de deux mois et trois quarts.

 

Pesti Napló, le 1er mars 1917.

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