Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
L’HUMORISTE
ET LE CHAPEAU
C’est un vieux sujet, celui
du chapeau.
L’humoriste
et le chapeau.
L’humoriste
qui se plaint que sa femme a envie d’un chapeau qu’il devra lui
acheter.
Et
l’humoriste se plaint d’être incapable de le lui offrir.
Mais
l’humoriste ment.
Je
le prouve.
En
effet, comment font les gens en
général pour se procurer un chapeau ?
Ça
dépend toujours de la profession de la personne.
Si
l’homme est, disons, un chef des armées, alors il va à la
guerre, et dans une lutte héroïque il ramène son
butin : le chapeau de la tête de la femme d’un soldat ennemi
d’un pays ennemi.
S’il
est inventeur, il invente quelque chose, il le vend,
et pour le prix il achète un chapeau pour sa femme.
S’il
est homme politique, il s’efforce de prendre le pouvoir, et grâce
à son pouvoir il crée dans le pays un état des choses dont
jaillira une nouvelle mode, par exemple que les femmes ne portent plus de
chapeau, il n’aura donc plus à acheter un chapeau pour sa femme.
S’il
est peintre, il peint une femme qui a déjà un chapeau, et cette
femme a l’air si bien avec son chapeau peint
qu’elle paiera volontiers suffisamment pour son tableau avec le chapeau
que cela suffira au peintre pour acheter le chapeau pour sa femme.
S’il
est poète, il écrit un poème dans lequel il explique que
la femme est la plus belle sans chapeau, et ce poème lui rapporte
éventuellement la somme nécessaire pour acheter un chapeau.
S’il
est romancier, il écrit un roman sur une femme qui a acheté un
chapeau – il vend ce roman et achète un chapeau.
Et
maintenant.
L’humoriste
prétend qu’il n’a pas de quoi acheter un chapeau pour sa
femme.
C’est
le plus simple.
Il
met son affirmation par écrit.
Les
gens sont terriblement étonnés de la déclaration simple et
directe de cette situation, ils la
trouvent follement drôle, l’humoriste, simplement pour avoir
constaté que sa femme a besoin d’un chapeau s’est
déjà arrangé pour avoir de quoi acheter le chapeau.
Donc
il ment.
Il
a raison de mentir. C’est seulement par le mensonge qu’il parvient
à son but.
Il
a donc raison.
Il
n’a rien d’autre que raison.
Pesti Napló, le 25 mars 1931.