Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
un peu de courage
C’est bien vrai.
Le travail n’est pas une honte. Et les temps ont bien changé. On
doit apprendre un peu de sens pratique. Il me plaît bien ce jeune homme
qui vient d’arriver d’Amérique, fils de parents riches et
bien nés qui n’est pas rentré à la maison faire le
fils à papa, mais qui s’est tout de suite mis à travailler,
il a ramené une espèce de recette de gaufrettes farcies d’une
mousse, avec ça il s’est niché sous un porche du Grand Boulevard,
pour badigeonner les gaufrettes de crème avec ses propres mains, en y
ajoutant des commentaires à la cantonade, en quatre semaines il a
empoché ainsi deux mille pengoes .
C’est une habitude à prendre.
Se débarrasser des délicatesses bourgeoises. Puisque le
consommateur-montagne ne va pas au producteur-Mahomet, c’est Mahomet qui
doit aller à la montagne : le maître est maître
même en enfer, on doit apprendre à lutter pour la vie,
l’objectif sanctuarise les moyens. Je suis convaincu que le marché
n’est pas encore saturé, seuls quelques préjugés
empêchent les classes laborieuses et productrices de prendre part
à la libre concurrence for life,
à grand renfort de publicités efficaces.
Comment j’imagine cela ?
Très simplement.
Prenons le cas par exemple d’un
médecin. Ça va plutôt mal pour les médecins, le
malade aime mieux guérir que dépenser de l’argent. Bien
entendu, les médecins sont toujours imbus de la vanité de leur
diplôme, de leur complexe d’autorité. Ils se plantent dans
leur cabinet et attendent les patients. Ça ne peut plus marcher. Un ami
médecin plein d’amertume m’a dit l’autre jour
qu’il aurait mieux fait de devenir fripier ambulant. Lui au moins a des avantages, il fait le porte-à-porte mais il
finit par faire des affaires. Mais faut-il pour autant aller faire le
fripier ? Ne pourrait-il pas plutôt appliquer la méthode
à son propre métier ?
Le personnage aimable du vitrier slovaque a
déjà disparu hélas de la cour de nos immeubles. Pourquoi
ne serait-il pas possible de le remplacer par une nouvelle industrie ?
Un gentleman à monocle
pénétrerait au milieu de la cour avec sa mallette
d’appareils, il lèverait un visage enthousiaste et serviable vers
les "accourses" et crierait sur une intonation convenablement modulée :
- Rhumes… quintes de toux…
rhume des foins… je guéris tout !...
Parions que d’un logement sur quatre on lui
répondrait : « Eh bien montez puisque vous êtes
là ! » C’est la bonne qui se penchera à la
grille pour l’appeler.
- Hé… Monsieur le
Docteur… Montez s’il vous plaît !
Ou encore :
- Aaa…
vocat, achetez-vous les services d’un avocat, aaa… vocat !
Je me vois déjà frapper chez
des familles cultivées, instruites, à la porte de service.
- Est-ce que Madame se trouve à
la maison ? Allez, mon petit, dites à Madame qu’un
écrivain hongrois de renom attend à la porte ; je vends
autographes pour un pengoe, et pour deux une dédicace spirituelle !
À moins que vous n’ayez de vieilles blagues usagées,
ressassées, je les ressemelle, repeins pour pas cher – elles
seront comme neuves !
Az Est, 19 février 1933.