Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
anecdote
varc, ayant quelque chose à
faire à Máramarossziget, eut besoin
d’une charrette. Il alla demander à Weisz,
le charretier, pour combien il l’emmènerait, parce que le train ne
s’arrêtait pas à leur village.
Ils se mirent d’accord pour cinq
pengoes et la charrette prit la route à l’aube.
Il convient de savoir que la route qui
mène à Máramaros est sinueuse.
À la première montée Weisz se
tourna vers l’arrière :
- Regardez, Monsieur Svarc, comme il
peine, ce pauvre cheval. Moi, j’aime marcher, une petite promenade ne
vous ferait pas de mal non plus, ne devrions-nous pas descendre
jusqu’à ce qu’il arrive en haut ?
Monsieur Svarc a bon cœur et il aime
particulièrement les animaux. Il ne plaint pas ses jambes, il descend
gentiment, ils cheminent paisiblement jusqu’au sommet de la
montée, ils attendent une minute que le cheval ait le temps de souffler
un peu, ils remontent. La charrette prend la descente.
Un instant plus tard Weisz
se retourne vers l’arrière :
- Regardez, Monsieur Svarc, comme elle
peine, cette pauvre rosse pour retenir la voiture, pourvu que ce gros poids ne
lui écrase pas le dos. De toute façon la marche en descendant est
plus aisée, autant ne pas nous faire secouer – ne devrions-nous
pas descendre jusqu’à ce qu’il arrive en bas ?
Monsieur Svarc ne se fait pas prier, il se
redresse, il descend.
C’est ainsi que ça se passe
jusqu’à Máramaros, étant
donné que la route est comme ça par-là : ça
monte, puis ça descend. Pas de quoi se disputer, ils sont tous les deux
des hommes de cœur compréhensifs.
Lorsqu’ils arrivent devant
l’auberge de Máramaros, Monsieur Svarc
paye comme il se doit les cinq pengoes convenus. Mais avant de se
séparer il marmonne :
- Vous savez, Monsieur Weisz, je me suis dit que nous sommes tous les deux bien bêtes. Moi, n’est-ce pas, j’avais
à faire à Máramarossziget. Vous,
vous aviez besoin de cinq pengoes. Tout va bien, vous avez eu vos cinq pengoes.
Mais pourquoi diable fallait-il amener
avec nous ce pauvre vieux cheval malade, qui n’a rien gagné
dans l’aventure ?
*
Cette anecdote m’a été
rapportée par l’avocat de celui qui m’a intenté un
procès à l’issue de l’audience où nous nous
sommes réconciliés.
Je remarque que cette anecdote n’est
pas mauvaise en traduction allemande non plus. Cette moralité est
à retenir. On raconte que derrière tout ce
phénomène Hitler se cache la vieille idée de Hindenburg de
réconcilier la nation allemande avec l’empereur d’Allemagne.
Le chemin de la réconciliation est
semé d’embûches, il faudra en payer le prix. N’est-il
pas dommage de s’y lancer avec une si grosse charrette ?
Az Est, 18 mars 1933.