Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
RÉSURRECTION
Voilà,
c’est une pensée pour Pâque. Une idée modeste, une
proposition sans prétention, et le fait qu’elle me soit venue
à l’esprit au moment de Pâque ne signifie pas qu’elle
ne s’applique pas les autres jours : j’aurais pu y penser
n’importe quand, par exemple le premier de ce mois.
D’autre part je souhaiterais
qu’elle soit prise un peu au sérieux, parce qu’il ne
s’agit pas là de la pure imagination d’un poète, mais
il s’agit d’un honnête projet de développement,
d’une solution économique, telle qu’un plan quinquennal, ou
la technocratie, ou encore le national-socialisme. À l’instar de
toute proposition comme on en voit de nos jours ou de toute planification, son
objectif est d’adoucir, voire supprimer définitivement le
chômage de même que la crise de surproduction.
Beaucoup de nos parents, les
végétaux et les animaux (par exemple la quasi-totalité des
insectes) suspendent en hiver leur lutte pour la survie, ils réduisent
au minimum leurs fonctions vitales, ils ne mangent pas, ils ne travaillent pas,
ils ne se battent pas entre eux.
Ils hibernent.
Cela signifie qu’ils traversent un
bon tiers de la saison sans aucun effort ni aucune consommation, il va sans
dire que c’est une organisation économique excellente :
presque pas de frais généraux, aucune dépense, les
recettes sont superflues.
Ne serait-il pas possible d’appliquer
ce procédé au genre humain ?
Vu nos acquisitions scientifiques, trouver
une solution technique à la chose serait un jeu d’enfant. Vers la
fin novembre, des médecins commis à cette fin injecteraient une
dose adéquate de narcotique aux individus bien engraissés, on les
installerait côte à côte et superposés dans des
entrepôts construits à cette fin, et on les laisserait dormir
jusqu’à Pâque.
Le monde dormirait pendant les mois
d’hiver, l’Europe se transformerait en en un heureux château
de la Belle au bois dormant dans lequel il n’y aurait ni lutte, ni
bousculade, ni souci pour le pain, ni protection d’intérêts,
et le principal : personne n’aurait aucune dépense. Les
salaires, traitements et émoluments seraient bien sûr
versés automatiquement – quelle joie ce serait alors en cette
période de l’année, le jour de Pâque, dans le cadre
d’une grande célébration nationale, de se réveiller
et d’entrer en possession de ce que nous avons économisé
simplement en ne faisant rien !
Ce serait la véritable
Résurrection !
Mais je peux toujours causer…
On m’accusera d’être tout
simplement un dormeur compulsif et d’avoir inventé tout cela pour
cette raison. Et si, en me sacrifiant, je donnais l’exemple, je pourrais
toujours crever, personne ne viendrait me réveiller.
Un ours ne fait pas l’hiver.
Az Est, 14 avril 1933.