Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
(Pour les cent
cinquante ans de Színházi Élet)
Compte-rendu matinal
AllÔ, allÔ ! Bonjour chers auditeurs,
chers spectateurs et chers lecteurs. Nous Émettons aujourd’hui
toute la journÉe sur la longueur d’onde 3426. Le son est transmis
sur un Écran rouge, le texte Écrit sur un Écran blanc ;
pendant les retransmissions de textes les auditeurs non hungarophones de
n’importe quelle partie du monde ne doivent pas oublier de brancher leur
appareil de traduction automatique, afin que ne se rÉpÈtent pas
les incidents regrettables de la semaine derniÈre. Nous avons le plaisir
de faire savoir par la prÉsente à nos auditeurs d’Asie que,
n’Épargnant pas notre peine, nous avons achevÉ la mise au
point du nouvel appareil de traduction chinoise qui, semblablement aux autres,
sur l’actionnement d’un bouton, traduit le texte hongrois oral ou Écrit
en langue chinoise.
AllÔ, AllÔ ! C’est un texte Écrit
qui va apparaÎtre !
Écran blanc !
Revisitons le passé.
Notre revue, "Comedia Munde" (Le
Monde de la Comédie) célèbre cette année les cent
cinquante ans de sa création – au sens réel, car dans notre forme actuelle et sous le
présent titre nous n’avons qu’une centaine
d’années. Mais d’un point de vue historique il s’agit
tout de même de cent cinquante ans, car il est évident que nous
pouvons nous targuer d’un ancêtre, "Színházi
Élet" florissant au début du vingtième siècle,
qui a célébré ses vingt-cinq ans en 1935. Sa
transformation ne s’est pas faite en un jour, le processus avait
commencé à la fin du siècle dernier, et son
déploiement révolutionnaire était dû, comme chacun
sait, non seulement à des innovations techniques, mais surtout et avant
tout à une nouvelle vision du
monde qui s’est épanouie justement à la fin du
siècle. Cette nouvelle vision du monde transformant fondamentalement les
anciennes conceptions a coïncidé avec de nouvelles formes de
transmission, au temps du déclin de l’âge du papier, lorsque
nous sommes passés parmi les premiers de la distribution des exemplaires
papier à la projection d’images, de son et de texte par la voie
des ondes radio : c’est ainsi qu’aux dernières
années du siècle nous avions déjà une trentaine de
millions d’abonnés. En ce qui concerne la nouvelle conception, il
n’est pas nécessaire d’expliquer en détail à
nos abonnés cultivés en quoi cela consiste. C’est une
merveilleuse découverte de Titusz Telma[2], l’homme invulnérable qui
avait mis cette nouvelle ère sur les rails. Voici l’essentiel de
sa découverte : tout dans le
monde joue un rôle dans une comédie gigantesque ; en tant
que comparaison dissimulée ou métaphore, sous forme
allégorique, tout était déjà présent dans
les présomptions des anciens poètes, mais n’est devenu
évidence et vérité que quand dans le monde animal et
végétal, dans toute la nature, on a réussi à
déchiffrer et circonscrire scientifiquement le secret du Centre Vital expérimentant
différentes solutions et repérer l’identité de l’Expérimentateur.
Aujourd’hui nous savons que les êtres vivants qui jouent un
rôle dans cette passionnante comédie, au milieu des décors
incommensurables de l’Espace, jouent leur rôle pour complaire
à la composition, dans une distribution strictement régulée
et, contrairement à l’ancienne conception, voire carrément
en la retournant, nous considérons comme réalité existante
et sérieuse uniquement les
Créations de l’Imagination, alors que nous qualifions le monde des
phénomènes naturels de poésie et de mirage. Nous
enseignons dans nos écoles seulement ce qui se passe sur scène ou
dans les livres – tout le reste compte pour théâtre et
poésie.
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le monde de la rÉalitÉ
Nouvelle
Auteur : Ödön Karinthy, Budapest
Ces temps-ci je ne sais pas comment, je me
sens attiré par la réalité, le passé et
l’avenir. Je me suis donc inscrit en sciences naturelles aux Folies Caprices, pour trois ans, non pour un diplôme qu’un amateur
assidu de théâtre pourrait obtenir, juste pour me cultiver. Je
suis surtout intéressé par des lectures historiques, c’est
avec une grande joie que j’ai fait récemment une
découverte. En feuilletant de vieux numéros de
"Szíinházi Élet" au musée
"Miracle", je suis tombé sur une étude
intéressante d’un de mes ancêtres (prénommé
"Frigyes"). – Sous le titre de "Monde de
l’imagination" il décrit les événements les
plus représentatifs de son temps avec une précision de
reporter : l’assassinat de Bárczy, le scandale de Hamlet, le
procès de Madame Agnès[3], et d’autres aussi. Il est curieux
qu’à une époque où les gens mélangeaient tant
la réalité et la poésie ce vieil écrivain
d’un autre temps ait déjà pressenti que l’histoire
retiendra seulement ce qui se produit dans l’âme humaine, tout le
reste n’est que mirage, poésie, fiction, rêve
éphémère.
Színházi Élet, n°
43, 1935.