Frigyes Karinthy : Recueil "Ô, aimable lecteur" (souvenirs)

 

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parabole du Vrai et du Faux Forint

 

1. Le jour saint de l’An Nouveau l’Ange Bienfaiteur se mit donc en chemin car il avait été dépêché pour faire le bien.

2. Lui, prit bien volontiers le chemin car depuis la nuit des temps il était candidat à l’Archangéïté, et il pensait dans son cœur que maintenant il allait parfaire quelque perfection qui lui permettrait d’attirer sur lui la bénévolence de l’Autorité Céleste..

3. S’adressant à eux à voix haute, il demanda alors à ceux qui le croisèrent : Quelle espèce de fétiche, quelle chienlit adore-t-on de nos jours ici-bas ? - car il voulut le savoir.

4. Et dirent les autres : Eh oui, c’est une idole nommée Forint qu’on adore, et que l’on appelle aussi Thaler ou encore Thalerette.

5. Alors l’Ange, par l’entremise de pratiques célestes et d’actions miraculeuses, se procura un de ces Forints (cela lui fut aisé Ange qu’il était), et il le remit dans la main d’un mendiant pour qu’il lui appartînt.

6. Il est écrit : Contre bonne action récompense recevras, et quand ta toilette feras, soigneusement dirigeras vers le bas, de tes mains les aspérités dites doigts, car si en haut les porterais, en toute certitude arriverait que dans les manches de ta parka, l’eau dedans dégoutterait.

7. Sur quoi le mendiant, autrement dit homme quémandeur, fort se réjouit, et puisque deux sous d’extra déjà possédait avec lesquels acheté il avait l’os d’un jambon de Cracovie pour son repas du soir composer, et puisque ainsi il se trouvait, pour ce Forint acheta paire de jambières, Guêtres nommées, afin, de ses pieds ostentation témoigner.

8. Et dirent les Budapestois à haute voix, voyant alors à ses pieds les protège chevilles dits Guêtres : « Eh ben ! », « Eh ben ! » et dirent aussi en d’autres termes : « Aïe, aïe, aïe », que tous alors répétèrent.

9. Et plus ne lui donnèrent d’aumônes, allant disant : « N’en a nul besoin pour sûr celui-là, puisque Guêtres porte à ses bas, nulle aumône recevra, un gnon sur son nez qui regarde vers Damas. »

10. Et autre mendiant pour lui reçut du rabbin en chef autrement nommé Commissaire Principal, Autorisation de Mendier.

11. Alors inanition emporta le premier mendiant.

12. Or en ce temps-là, en même temps le Malin sortit de l’Enfer et chemin prit pour répandre le mal ; se déguisa et endossa son habit d’ange, et bien malaxa ensemble plomb et scorie de la terre pour en fabriquer un Forint qui au vrai Forint ressemblerait, mais qui point n’en serait mais qui faux Forint serait.

13. Et chemin faisant le donna à un mendiant dans sa main, disant : « Tenez, brave homme », pour qu’il lui appartînt.

14. Lui, s’étant réjoui du Forint, dans la maison du Cuiseur de Pâtés autrement dit Gargotier pénétra.

15. Et là-dedans un plat de soupe, autrement nommé ragoût, c’est-à-dire cher vachement, commanda, et plat de viande mangea que l’on nomme Chateaubriand, pourquoi ainsi on le nomme ne demandez pas, et aussi chair de chat que lapin Gargotier nomma.

16. Et quand rassasié il fut, du Maître d’hôtel dans la main remit le Forint ; alors cria trois fois celui-ci : Ouh ! Nom d’un chien ! – et prétendit être faux ce Forint.

17. Sur quoi fit appeler l’homme de la loi, inspecteur autrement nommé ; dans la maison de la loi ce mendiant il emmena pour que la période nocturne il y passât.

18. Sur quoi se réjouit le mendiant passablement, sa gratitude au Seigneur exprimant, disant : « Assurément ma foi, après bon dîner, de surcroît hébergement pour la nuit je reçois, c’est bien ainsi ! » - et sur le champ il s’endormit.

19. L’inspecteur, autrement nommé homme de la loi, décoré fut par le Commissaire Principal parce que même un jour férié diligent il fut, qualité capitale et dans une Catégorie de Traitement supérieure l’installa.

20. Et celui-ci de cet argent mensuel offrit pour ses enfants leur arbre de Noël.

21. Cette histoire, que ceux qui ont des yeux la voient, que ceux qui ont des oreilles l’entendent.