Frigyes Karinthy : "Haroun al Rachid"

 

 

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Miraculum

 

Le paralytique s'efforçait péniblement d'allonger ses bras recroquevillés, la multitude attendait en silence, avec curiosité. Et Lui s'arrêta devant le paralytique, le regarda pendant un moment puis Il dit :

- Lève-toi et marche.

Le paralytique s'étira, ses os craquèrent. Et il se leva, et il partit, et il disparut dans la foule.

Plus tard, dans un coin des faubourgs, un homme couché, effondré au pied d'un mur jaune demi-écroulé. Il s'arrêta là devant celui-ci qui avait le feu de la géhenne en lui et dont le corps était couvert d'ulcères. Il s'arrêta devant lui et le regarda en méditant, Il lui toucha le front de sa main fraîche. Et s'éteignirent les feux de la géhenne, et tombèrent les ulcères de son corps, et ils rétrécirent et ils disparurent.

Alors les assoiffés hurlèrent dans le désert, ils s'écroulèrent sur le sol car depuis six mois ils n'avaient pas cessé d'errer. Ils s'écroulèrent et leur langue noircie pendait. Ils cognèrent leur tête contre le rocher dans l'intention de mourir. Les bruits sonores furent renvoyés par l'écho des cimes. Lui, il se tenait de l'autre côté du lac et Il leva la tête. Puis Il se mit en route, Il traversa le lac à la hâte, ses sandales touchèrent à peine la surface de l'eau. Arrivé au rocher, il le frappa de son bâton et le rocher gémit : il s'ébroua et il fondit et il se fendit, et de cette fente jaillirent les sanglots de la source.

Et vinrent cinq mille affamés, et ils se lamentèrent à voix forte, et ils maugréèrent. Les économes infidèles, pris de panique, coururent de gauche et de droite dans leur halle car il n'y avait que cinq pains, les autres avaient été emportés par les opulents. Et Il leur dit : prenez et partagez-vous les ! Et lorsque le soir tomba la multitude planta des tentes à l'extérieur de la ville et ils s'assoupirent paisiblement sous leurs tentes, le ventre bien rempli,

Toutefois la fille du monnayeur était couchée, morte, sur son catafalque, le troisième jour, la troisième nuit, entourée des gémisseurs et des pleureuses. Et son amoureux était allongé inconscient sur le seuil de la maison, et de ses larmes le seuil était boueux, et personne ne devait le franchir. Et alors Il apparut sur le seuil et Il sourit doucement. Et Il dit : « Elle ne fait que dormir ». Et le linceul blanc tomba aux pieds du lit en chuintant, et la fille du monnayeur s'assit, et dans l'ivresse du sommeil elle regarda autour d'elle. Et son fiancé aussi sauta sur ses pieds, et très haut il cria les paroles de l'amour parce qu'il crut ce qu'il vit.

Et alors les monts partirent à grand fracas, et ils se mirent en route et en longue colonne comme les vagues de la mer, ils se hâtèrent vers l'océan à travers le désert, et quand ils y parvinrent ils furent engloutis par la mer. Et la neige fondit, et du miel pur suinta des arbres. Alors les étoiles se mirent à courir en tous sens au firmament et il y en eut qui tombèrent sur la terre : et celui qui errait sans lumignon dans la nuit ramassait une étoile et illuminait son chemin au loin. Et celui qui avait froid allongeait le bras et saisissait un faisceau du soleil et le cachait en son sein : le rayon du soleil se faisait fluide et celui qui frissonnait s'y immergeait.

Et la fille du monnayeur partit à Sa suite les yeux écarquillés : et lorsque son amoureux s'adressa à elle pour la retenir dans ses bras, elle ne répondit pas à l'appel de son amoureux.

Et le lendemain elle Le rejoignit dans le désert. Et Il dit à la jeune fille : « va, retourne chez ton amoureux ». Et elle répondit : « c'est Toi que je veux suivre ».

Et Il demanda à la jeune fille : « As-tu soif et as-tu faim ? » Et elle répondit : « C'est à Toi que je veux donner à manger et à boire. Car je vois, Fils de l'homme, que Tu es assoiffé et que Tu es affamé. Viens à la source pour que je Te serve à boire et que je Te lave les pieds de son eau tiède. »

Et lorsqu'ils arrivèrent à la source elle allongea les bras pour puiser de l'eau dans ses mains et pour la Lui tendre. Et l'eau de la source tarit et le rocher s'endurcit. Et le Fils de l'homme avait soif.

Et lorsqu'ils arrivèrent dans le verger, le Fils de l'homme tendit la main pour se servir un fruit. Et les fruits se desséchèrent et ils tombèrent de l'arbre. Et cinq mille pains étaient là et le vin dans les outres, et quand Il voulut y mordre, les cinq mille pains disparurent et le vin inonda le sol. Et on Lui tendit à manger et à boire, et Ses bras se figèrent et se paralysèrent et sa langue Lui colla au palais. Et le feu de la géhenne s'enflamma dans son corps.

Et les hommes armés Lui tendirent de l'eau et l'eau se transforma en vinaigre. Et le cours d'eau s'arrêta et se figea dans son lit. Et le voile du firmament se fendit et le soleil s'arrêta dans le ciel et la pierre s'arrêta en l'air. Et les tombes s'ouvrirent, et les morts sortirent, et ils ouvrirent les yeux, et Ses yeux se refermèrent et Il mourut.

 

Suite du recueil