Frigyes Karinthy :  "Dictionnaire simplet"

 

 

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femme [1]

(matrone, dortoir des femmes, rafale de mitraillette)

 

Déjà connue des anciens Grecs. Selon la légende elle a été découverte par un Arabe nommé Adam, contrairement aux contes médiévaux qui, eux, attribuent sa découverte à Berthold Schwarz. Puis on l’a de nouveau perdue de vue, ce qui est attesté par le dicton « Cherchez la femme » (elle pourra toujours vous rapporter quelque chose), qui pendant très longtemps a servi à stimuler le flair des savants naturalistes. Il fut un temps où on croyait l’avoir déjà trouvée : un savant grec nommé Archimède la découvrit dans une baignoire, mais apparemment il ne put se mettre d’accord avec elle car il finit par sauter de la baignoire en criant « Eurêka, Eurêka », c’est-à-dire : « Bon, d’accord, je t’épouse », il lui a couru après dans la rue avec ce cri, mais apparemment il n’a pas pu la rattraper. Plus tard, ce même savant voulut la compacter en un point extraterrestre ; il présenta une requête aux contributions pour qu’on lui attribue un tel point et alors il soulèverait le monde et le sortirait de ses gonds. Le bureau des contributions lui répondit par écrit que ça ne valait pas tripette, qu’il fit plutôt sortir de ses gonds au printemps une boîte à chapeau du grand magasin, mais Archimède n’osa pas relever le défi, bien sûr il n’obtint pas de points, six pour la banque.

On a encore été longtemps obsédé par « Cherchez la femme » ; on l’a cherchée un peu partout, dans des livres, dans l’air, sous la terre, on lui a téléphoné à son domicile sans la trouver chez elle. À la fin c’est un chercheur norvégien nomme Ibsen qui a mis le grappin dessus dans une boutique de mode parisienne : elle marchandait deux corsages et voulait rabattre leur prix de cinq francs. À la question de savoir où elle était restée si longtemps il s’est avéré que toute la journée elle s’était promenée à Versailles en compagnie d’un jeune homme nommé Casanova, le soir ils étaient allés dans un salon de thé et ils venaient tout juste de se séparer. Elle était très étonnée qu’on n’ait pas pu la trouver. Deux policiers l’ont sur le champ emmenée dans la Grande Littérature et ils lui ont demandé ce qu’elle voulait. Elle a répondu qu’elle voulait aller se coucher. On lui a donné de la nourriture qu’elle a immédiatement consommée ; on lui a offert ensuite quelques livres, elle les a pris sur ses genoux, elle a commencé à caresser leur couverture et elle voulait en embrasser les coins. À la question de savoir qu’est-ce qui serait le mieux elle a déclaré que le mieux serait si elle se sentait au mieux et si quelqu’un voulait bien s’occuper d’elle. On lui a demandé qu’est-ce qui pourrait la faire vivre, elle a répondu qu’il faudrait que quelqu’un l’embrasse. À la question de savoir de quoi elle voulait vivre pendant qu’on l’embrassait elle a répondu que si on l’embrassait elle recevait le gîte et le couvert. À la question de savoir si elle aimerait manger un millefeuille elle a répondu qu’elle aimerait volontiers manger un millefeuille. Alors on lui a acheté un millefeuille qu’elle a englouti rapidement avec grand appétit, mais immédiatement après elle a réclamé également le prix du millefeuille et s’est sincèrement étonné que ce ne soit pas à elle qu’on l’ait donné mais au pâtissier. Puisque, raisonna-t-elle, ce n’est pas le pâtissier qui a mangé le millefeuille, mais elle, donc c’est bien elle qui devait toucher le prix du millefeuille. Après on lui a demandé à qui elle en voulait vraiment, elle a répondu à cela qu’elle en voulait vraiment à Newton parce que celui-ci, rien que pour l’embêter, elle, avait ordonné qu’au centre des planètes il y eût un truc nommé Soleil, ce qui n’a aucun sens, et que les objets retombent sur le sol. À la question de savoir ce qu’on pourrait faire contre, elle a déclaré qu’elle allait descendre ce Newton. À la question de savoir où elle prendrait un revolver elle a répondu qu’elle demanderait trois forints au Newton. À la question de savoir à qui elle donnerait sa main elle a répondu qu’elle n’épouserait qu’un homme qui saurait mourir pour elle et qui le prouverait d’abord. À la question de savoir combien font deux fois deux elle a répondu que ça ne faisait rien mais qu’on lui donnât une étole de grenadine en soierie tramée, avec des plis creux et des empiècements.

À la fin le tribunal réuni a constaté après une longue délibération que la femme est un mystère. Solution au prochain numéro. Parmi les gagnants un tirage au sort va désigner le bénéficiaire d’une chambre gratuite au sanatorium Schwartzer.

 

Suite du recueil

 



[1] Ce texte a été publié aux Éditions des Syrtes dans le recueil "La ballade des hommes muets"