Frigyes
Karinthy : "Dictionnaire simplet"
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femme
(matrone,
dortoir des femmes, rafale de mitraillette)
Déjà
connue des anciens Grecs. Selon la légende elle a été
découverte par un Arabe nommé Adam, contrairement aux contes
médiévaux qui, eux, attribuent sa découverte à
Berthold Schwarz. Puis on l’a de nouveau perdue de vue, ce qui est
attesté par le dicton « Cherchez la femme » (elle
pourra toujours vous rapporter quelque chose), qui pendant très
longtemps a servi à stimuler le flair des savants naturalistes. Il fut
un temps où on croyait l’avoir déjà trouvée :
un savant grec nommé Archimède la découvrit dans une
baignoire, mais apparemment il ne put se mettre d’accord avec elle car il
finit par sauter de la baignoire en criant « Eurêka, Eurêka »,
c’est-à-dire : « Bon, d’accord, je
t’épouse », il lui a couru après dans la rue
avec ce cri, mais apparemment il n’a pas pu la rattraper. Plus
tard, ce même savant voulut la compacter en un point
extraterrestre ; il présenta une requête aux contributions
pour qu’on lui attribue un tel point et alors il soulèverait le
monde et le sortirait de ses gonds. Le bureau des contributions lui
répondit par écrit que ça ne valait pas tripette,
qu’il fit plutôt sortir de ses gonds au printemps une boîte
à chapeau du grand magasin, mais Archimède n’osa pas
relever le défi, bien sûr il n’obtint pas de points, six
pour la banque.
On
a encore été longtemps obsédé par
« Cherchez la femme » ; on l’a cherchée
un peu partout, dans des livres, dans l’air, sous la terre, on lui a
téléphoné à son domicile sans la trouver chez elle.
À la fin c’est un chercheur norvégien nomme Ibsen qui a mis
le grappin dessus dans une boutique de mode parisienne : elle marchandait
deux corsages et voulait rabattre leur prix de cinq francs. À la
question de savoir où elle était restée si longtemps il
s’est avéré que toute la journée elle
s’était promenée à Versailles en compagnie
d’un jeune homme nommé Casanova, le soir ils étaient
allés dans un salon de thé et ils venaient tout juste de se
séparer. Elle était très étonnée qu’on
n’ait pas pu la
trouver. Deux policiers l’ont sur le champ
emmenée dans la Grande Littérature et ils lui ont
demandé ce qu’elle voulait. Elle a répondu qu’elle
voulait aller se coucher. On lui a donné de la nourriture qu’elle
a immédiatement consommée ; on lui a offert ensuite quelques
livres, elle les a pris sur ses genoux, elle a commencé à caresser
leur couverture et elle voulait en embrasser les coins. À la question de
savoir qu’est-ce qui serait le mieux elle a déclaré que le
mieux serait si elle se sentait au mieux et si quelqu’un voulait bien
s’occuper d’elle. On lui a demandé qu’est-ce qui
pourrait la faire vivre, elle a répondu qu’il faudrait que
quelqu’un l’embrasse. À la question de savoir de quoi elle
voulait vivre pendant qu’on l’embrassait elle a répondu que
si on l’embrassait elle recevait le gîte et le couvert. À la
question de savoir si elle aimerait manger un millefeuille elle a
répondu qu’elle aimerait volontiers manger un millefeuille. Alors
on lui a acheté un millefeuille qu’elle a englouti rapidement avec
grand appétit, mais immédiatement après elle a
réclamé également le prix du millefeuille et s’est
sincèrement étonné que ce ne soit pas à elle
qu’on l’ait donné mais au pâtissier. Puisque,
raisonna-t-elle, ce n’est pas le pâtissier qui a mangé le
millefeuille, mais elle, donc c’est bien elle qui devait toucher le prix
du millefeuille. Après on lui a demandé à qui elle en
voulait vraiment, elle a répondu à cela qu’elle en voulait
vraiment à Newton parce que celui-ci, rien que pour
l’embêter, elle, avait ordonné qu’au centre des
planètes il y eût un truc nommé Soleil, ce qui n’a
aucun sens, et que les objets retombent sur le sol. À la question de
savoir ce qu’on pourrait faire contre, elle a déclaré
qu’elle allait descendre ce Newton. À la question de savoir
où elle prendrait un revolver elle a répondu qu’elle
demanderait trois forints au Newton. À la question de savoir à
qui elle donnerait sa main elle a répondu qu’elle
n’épouserait qu’un homme qui saurait mourir pour elle et qui
le prouverait d’abord. À la question de savoir combien font deux
fois deux elle a répondu que ça ne faisait rien mais qu’on
lui donnât une étole de grenadine en soierie tramée, avec
des plis creux et des empiècements.
À
la fin le tribunal réuni a constaté après une longue
délibération que la femme est un mystère. Solution au
prochain numéro. Parmi les gagnants un tirage au sort va désigner
le bénéficiaire d’une chambre gratuite au sanatorium Schwartzer.