Frigyes Karinthy :  "Ne nous fâchons pas" 

 

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application guerriÈre d’histoires bibliques

 

I

Adam et Ève

Et Ève dit : Ce serpent-là me conseille de cueillir un fruit de cet arbre-là.

Et Adam dit : De quelle façon pourrais-je le faire et pourrais-je contrevenir à l’ordre du Seigneur qui m’a prévenu qu’il me chasserait du jardin d’Eden et transporterait mon corps à un autre endroit ?

Et Ève dit : Moi, je vais en cueillir quand même, et je ne vais pas retenir ma main de ce fruit.

Et Adam dit : Et qu’allons-nous devenir si l’on nous chasse véritablement du Paradis et si nous ne jouissons plus de ses bienfaits ? Nous mourrons d’inanition et nous périrons, et notre corps et notre unicité n’échapperont pas aux dents des fauves et des licornes.

Et Ève dit : Tu es une andouille, et d’ailleurs désormais je t’appellerai Andouille et je ne t’appellerai plus Adam. Parce que tu ne penses pas aux prix fabuleux de la pomme qui crève le plafond, et que l’on pourra vendre à la ville. Parce que, ayant semé cette pomme, j’en ferai pousser un verger à l’extérieur du Paradis et, ayant vendu ses fruits, je ferai une telle concurrence au jardin d’Eden, qu’à peine un an plus tard je pourrai l’exproprier, et Lui, il entrera comme actionnaire dans mon affaire.

Que ceux qui ont des oreilles entendent.

 

II

un plat de lentilles

 

Et Jacob aperçut Esaü sous le porche, qui lors était assis devant un plat de lentilles.

Et il lui dit : Donne-moi ce plat de lentilles là et ne me le refuse pas.

Et Esaü répondit, disant : Que me donnes-tu en échange ?

Et celui-là lui proposa des sommes et lui dit : Pour cela je te donne mon droit d’aînesse.

Et Esaü lui donna le plat de lentilles.

Et alla celui-ci à son père Isaac et lui dit : Bénis-moi.

Isaac lui dit à son tour : La voix est celle d’Esaü, mais la main est celle de Jacob.

Et Jacob dit : J’ai vendu mon droit d’aînesse pour un plat de lentilles, et j’ai vendu mon héritage pour des lentilles cuites qui sont contenues dans un plat.

Et Isaac lui dit : Tu es mon fils bien aimé, et je te dis qu’avec les prix d’aujourd’hui tu as fait une bonne affaire.

Et il le bénit.

Que ceux qui ont des yeux voient.

 

III

le fils prodigue

 

Un père avait deux fils, l’un était travailleur et s’enrichissait chaque jour, tandis que l’autre, ayant gaspillé sa fortune et ayant quitté son père, prit la route.

Et les années passèrent, et de nombreuses années passèrent, revint le fils prodigue et il tomba à genoux dans la cour extérieure, se mit à sangloter bien fort comme les mendiants.

Son père étant sorti dans la cour extérieure lui demanda : quel vent t’amène ici et quelle sorte d’homme es-tu ? Car il est écrit : tes père et mère honoreras afin de vivre longuement et, quand tu fais tes ablutions, tiens toujours les bras vers le bas et non vers le haut, sinon l’eau coulerait dans les manches de ta veste et l’eau n’épargne pas le devant des manches de ta chemise qui ont nom Manchettes.

Et répondit l’autre : Je suis un malheureux parmi les malheureux, j’ai spéculé sur toutes sortes de choses, et maintenant je suis venu ici en mendiant pour que tu me fasses donner la soupe que mangerait l’un parmi tes cochons.

Et son père le prit dans ses bras, l’étreignit et lui dit : Tu es mon unique fils.

Et l’autre fils ayant tempêté en son cœur dit : De quelle façon mesures-tu avec tes mains dispensatrices ?

Tu l’étreins lui qui a gaspillé tout son bien, alors que moi qui ai fait du bon commerce, tu ne me bénis pas.

Et dit son père : Oui, je l’affirme, il est meilleur commerçant que tu n’es parce qu’il sait ce que vaut la soupe des cochons à son prix actuel, son prix qui crève le plafond.

Que ceux qui ont un nez reniflent.

 

Suite du recueil