Frigyes Karinthy : Théâtre
Hököm
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scène en hongrois
trÈs dÉsagrÉable[1]
La chose suivante est, par exemple, très
désagréable.
Moi (Je suis assis dans une ville de province
où je me suis rendu pour affaires, le soir, au café, après
un spectacle de cabaret auquel j’ai assisté par ennui. Je suis de
fort mauvaise humeur, je ne conseille à personne de s’asseoir en
ce moment près de moi.)
un
jeune homme blond (S’assoit près de moi.) : Bonjour, cher Maître.
Moi (Je constate que je peux l’identifier.
C’est le jeune homme qui m’avait sollicité pour entrer au
cabaret. Il doit faire partie de la maison, il pourrait être metteur en
scène ou imprésario. Bon, d’accord, entendu, je serai
clément avec lui, sous réserve qu’il ne reparle pas du
spectacle.) : Bonjour.
Lui :
Avez-vous apprécié le spectacle ?
Moi (Qu’est-ce que je dois en faire ?
Faut-il en plus que j’en discute avec lui, j’étais heureux
de l’avoir oublié, est-ce que je l’ai apprécié
ou non ? Qu’est-ce que j’en sais ? Je m’en fiche.
Je vais lui répondre des généralités, je dirai
qu’il m’a plu, pour couper court.) : Je l’ai bien aimé.
Lui :
Que dites-vous de la scène intitulée
"Rossignol" ?
Moi (La scène intitulée
"Rossignol" ? Je n’en garde aucun souvenir. Ou
plutôt si, c’est celle où une grosse mémère
fait cocorico. Je me mets en colère.) : Celle où la
grosse mémère a fait cocorico ?
Lui :
Une grosse mémère ? À qui pensez-vous ?
Moi (Je
suis tombé dans son piège.) : Celle qui a joué la princesse turque. Celle à la
tête de laquelle j’avais envie de jeter une chaise.
Lui (Ouvre de grands yeux.) : Une chaise ?
Moi Je n’avais pas de table à
la portée de la main, il n’y avait que des chaises dans la salle.
Lui (Se tait.)
Moi : Est-il permis de lâcher une
telle femme sur une scène ?
Lui (Se tait et me regarde avec
fidélité et intelligence.)
Moi (Comme
ça, c’est différent. Si tu es modeste et timide, je ne
t’en veux pas, je veux même bien te donner une leçon, en
signalant par ma franchise que je te distingue, que je te juge digne de ma sincérité.) :
Eh oui. Je sais bien comment est
Lui (Se tait.)
Moi (Zut,
il se tait. S’il disait au moins quelque chose, sans quoi je ne peux pas continuer.
Soupçonneux.) : Où
avez-vous ramassé cette malheureuse femelle, pour l’amour du ciel,
qui c’est cette femme ?
Lui (Modestement.) : C’est ma femme.
Moi (Je
laisse tomber la tasse que j’ai à la main, mais malheureusement
elle ne se casse pas, je me baisse pour la ramasser, je la cherche longuement
sous la table, il m’aide poliment.) : Merci… laissez… le garçon va s’en
occuper… ça ne fait rien… une petite maladresse…
c’est scandaleux à quel point on sert ici le café dans des
tasses maladroites… elles glissent de la main des gens… ça
alors.
Lui (Se tait.)
Moi (Je
me tais, je regarde dans une autre direction, pour ne pas le déranger
s’il a envie de s’en aller.)
Lui (Se tait.)
Moi (Vigoureusement,
avec des gestes fermes.) : Bon, oui, de quoi on parlait ?
Lui (Poliment.) : De ma femme.
Moi : Ah oui. Justement, comme je vous le
disais. Ne protestez pas – c’est comme je vous le dis. Ce
n’est pas une mise en scène… Un… hum… un talent
comme celui de… votre épouse, un directeur habile sait le mettre
en valeur… hum… ne la ligote pas dans un rôle qui n’est
pas fait pour elle… À Budapest, n’importe quel directeur
digne de ce nom verrait immédiatement de quoi il retourne…
S’il a la chance d’avoir une merveilleuse actrice talentueuse sous
la main… avec une telle force comique… un tel charme… il ne
les gaspillerait pas… il lui trouverait un rôle
adapté… pour la mettre en valeur… Comme je vous disais, j’ai
été écœuré… j’avais envie de
balancer une chaise sur la scène… comment a-t-on osé
produire une actrice d’un tel talent… dans une pièce aussi
minable…
Lui (Se tait.)
Moi (Bon,
je retombe sur mes pieds.) : Ce n’est pas possible, excusez-moi
– vous êtes un homme intelligent, je peux vous parler franchement.
Il n’est pas permis de faire jouer de telles saloperies à des
acteurs de valeur. Je sais bien que la province c’est
Lui (Se tait.)
Moi (Bon,
grâce à Dieu, j’ai rétabli
Lui (Avec fierté) : C’est
moi.