Frigyes Karinthy : "Instantanés"

 

 

afficher le texte en hongrois

la mesure du progrÈs

 

Avigdor Hameiri[1], excellent poète hébreu et traducteur émérite, qui vit en Palestine et qui, en plus de la "Tragédie de l’Homme", a traduit énormément d’œuvres hongroises en hébreux, est passé l’autre jour à Budapest. Se souvenant de notre vieille amitié, il m’a rendu visite.

Il m’a raconté beaucoup de belles choses sur sa patrie juive, heureuse et contente de son sort, où les Juifs vivant entre eux, il n’y a pas de conflit, pas de sensiblerie maladive causée par l’amour-propre offensé, ni vanité boursouflée causée par cette sensiblerie maladive. Les Juifs sont donc exactement semblables aux enfants de n’importe quel autre pays, ils aiment leur patrie sans chauvinisme, ils se sentent égaux aux autres nations, ni plus ni moins. Quel rêve de bonheur idyllique !

Je me suis étonné :

- Tout de même, il y a des différences… Une race si ancienne, penses-y… Chaque individu s’est formé une personnalité au cours des temps… Les crois-tu capables de se fondre en une masse multiple, pour former un état autonome et vivable ?

- Qu’est-ce que tu crois ! – cria Avigdor en feu. – Nous avons déjà des paysans cultivateurs, parmi les Juifs !

- Ce n’est pas pareil…

- Pas pareil ? Si tu veux savoir, nous avons aussi parmi nos paysans juifs des vrais analphabètes qui ne savent ni lire ni écrire !

Et son visage rayonnait de fierté.



[1] Avigdor Hameiri (1890-1970). Poète, romancier et traducteur juif, né en Hongrie et mort en Israël.