Frigyes Karinthy : "Vous écrivez comme ça "

 

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IMMATURAT

Examen du directeur général

(Passé par László Fodor avec mention très bien)

 

premier mouvement

Salle des professeurs

 

Le directeur : Les enfants, ne faites pas un tel boucan, c’est bientôt les vacances, nous pourrons nous défouler. Ça va être super, on respire déjà les brises du printemps…

Le Professeur de Philosophie : Hé, hé, Kulcsár… gare à toi, tu as toujours eu le sang chaud… La science, ça ressemble au bretzel salé, mais le bretzel salé ne ressemble pas à la science.

Le Professeur d’Aphorismes : C’est assez bien dit, mais je ne te donne tout de même pas un TB en aphorismes. Uniquement parce que tu fayote.

Le directeur : Donc, je voulais seulement vous communiquer la date du baccalauréat…

Le Professeur de Sciences Nat : Hé, attendons un peu… je ne me suis même pas présenté… Je descends d’une famille paysanne, je suis un enseignant extrêmement charmant et amusant, je traîne partout des animaux : des hiboux, des écureuils, et je comprends toutes les bonnes plaisanteries…

Le directeur : Donc, le baccalauréat…

Le Professeur d’AlgÈbre : Et moi, vous ne me remarquez même pas ?!... Je suis sévère et coléreux, l’ogre des élèves, autrement dit…

Tous à la fois : Tête carrée ! Tête carrée !

Le Professeur d’AlgÈbre en colère : C’est inadmissible ! Il trépigne.

Tous : Tête carrée ! Tête carrée ! Ils sautent sur des chaises, chahutent, caricaturent Tête carrée au tableau noir, jubilent dans leur grande bonne humeur.

La Professeure de comique surgit avec un dentier, un faux nez, une perruque, un énorme coussin chargé d’épingles derrière sur sa jupe, elle a vraiment l’air d’un porc-épic : Vous chahutez ici pendant que…

Le Professeur de Philosophie pousse un cri : La voilà, c’est la chouette effraie ! Il joue à saute-mouton sur le dos du professeur d’algèbre qui s’est baissé. Hilarité, chacun se moque de la professeure de comique, ils lui bandent les yeux, ils font la ronde autour d’elle, et cætera.

La Professeure de comique victorieusement : Eh bien, vous cesserez bientôt ces enfantillages ! J’ai trouvé une dissertation de mademoiselle Kató Horváth de la terminale…

Tous se taisent en entendant cette parole sérieuse.

La Professeure de comique : Hein, vous avez tous eu peur, gros malins !

Le directeur timidement : De quoi ça parle ?

La Professeure de comique : Qu’est-ce que tu en penses ?

Le directeur : Quand même pas de l’amour ? Il baisse ses petits yeux innocents.

La Professeure de comique : Bien sûr que si.

Le directeur pose sa main sur son cœur palpitant : C’en est fini de nous ! Je devine que c’est là-dessus que je serai interrogé au bac, et je ne suis pas encore prêt… Il triture nerveusement sa cravate.

Le Professeur de Philosophie un tantinet impressionné : Les enfants, le mieux serait de demander collectivement à Mademoiselle Horvath de bien vouloir venir tout de suite nous rejoindre ici, avant l’arrivée de l’inspecteur, et de nous faire passer un bac blanc, elle sera peut-être moins sévère.

Le Professeur de public : Enfin l’action va commencer, jusqu’ici on n’a eu que des descriptions de caractères, ça je peux aussi bien le lire chez moi dans mon lit.

Le Professeur d’action : Oui, mais seulement à l’acte suivant.

 

deuxÈme mouvement

Même endroit

 

Mlle HorvÁth, de la terminale entre.

Les Professeurs se lèvent : Nous vous présentons nos respects !

Mlle HorvÁth sévèrement : Asseyez-vous.

Le Professeur d’Âme reste debout : C’est-à-dire, Mademoiselle Horváth, s’il vous plaît, nous avons appris que vous avez particulièrement préparé un sujet… Il baisse les yeux.

Mlle HorvÁth éclate de rire : Vous n’osez pas le nommer ? C’est l’amour, espèce de sondeur d’âme ! Elle lui  administre une chiquenaude bienveillante sur le nez. Et bien sûr, maintenant vous avez peur, lequel de vous va être interrogé là-dessus ! Elle fixe des yeux le directeur.

Le directeur très troublé : S’il vous plaît, Mademoiselle Horváth, moi…

Mlle HorvÁth s’adresse à lui : Eh bien, Monsieur le Directeur, pourriez-vous me dire ce que c’est que l’amour ?

Le directeur bégaye : L’amour… l’amour… c’est-à-dire l’amour… Mademoiselle Horváth, s’il vous plaît, je savais, mais j’ai oublié.

Le Professeur de Sciences Nat lève le doigt.

Mlle HorvÁth se tourne vers lui : Alors ?

Le Professeur de Sciences Nat : L’amour est un écureuil grand comme un éléphant. Pas vrai ?

Le Professeur d’AlgÈbre : L’amour est une équation à deux inconnues.

Le Professeur de littÉrature : L’amour est une sombre caverne.

Lappariteur : L’amour c’est trois bretzels à la place d’un.

Mlle HorvÁth : Asseyez-vous. Vous êtes des ignorants. J’ajourne le baccalauréat à demain, et c’est Monsieur Kulcsár qui passera son oral et qui – elle envoie un clin d’œil au directeur – qui traitera la question de l’amour.

Le directeur pose sa petite main sur son cœur palpitant : Aïe !

 

troisiÈme mouvement

Même endroit

 

Mlle HorvÁth entre : Asseyez-vous.

La Professeure de comique : S’il vous plaît, Mademoiselle Horváth, à l’occasion du baccalauréat, permettez-moi de vous transmettre, au nom de tout le corps enseignant, mes meilleurs souhaits de réussite en votre qualité de ministre responsable de la science de l’amour au sein du nouveau gouvernement en formation. Ils baisent chacun à son tour la main de mademoiselle Horváth.

Mlle HorvÁth : Laissez, laissez… Je n’aime pas le fayotage… De toute façon il ne s’agit pas de moi ès qualité, mais il s’agit de savoir si vous – vers le directeur – vous avez bien préparé, Kulcsár.

Le directeur : S’il vous plaît… Mademoiselle Horváth… je crois que…

Mlle HorvÁth : Bon, cessez de bafouiller… Dites-moi de qui j’ai été amoureuse pendant huit ans et à qui j’ai adressé la dissertation amoureuse dont il a été question.

Le directeur baisse les yeux : Je pense… il me semble… que ma modeste personne…

Mlle HorvÁth rigole : Vous ? Appelle vers l’extérieur. Entre, Pista !

Le FiancÉ affiche un sourire béat : Bonsoir, ma très chère Kató !

Mlle HorvÁth : Boucle-la et achète-moi ce manteau de fourrure. Alors, cher Kulcsár, c’est à celui-ci qu’était adressée la lettre d’amour car c’est lui mon fiancé et pas vous. Je déclare donc solennellement que Monsieur le Directeur a brillamment passé l’épreuve du baccalauréat, prouvant qu’il n’a pas l’ombre d’une connaissance sur l’amour, par conséquent il est forcément très compétent en philologie classique. En amour – insuffisant. Vous pouvez disposer.

Le Professeur de public : Je conteste ! Je conteste ! C’est Sombre Triste qui l’a écrite !

L’Auteur : Et alors ? Tout ça, qui l’a écrit à votre avis, moi peut-être ? Je n’écris rien d’original que sous pseudonyme. Sous mon propre nom ce n’est pas à Sombre Triste que je vole mes sujets, mais à la vie.

 

 


[1] György Endresz (1893-1932), aviateur hongrois.