Frigyes Karinthy : "Qui m’a
interpellé ?"
iconographie
Dans une chambre élégamment
meublée d’un hôtel viennois, j’ai découvert sur
le petit panneau indicatif de la sonnerie, contre le mur, une petite innovation
qui, en l’observant mieux, m’a fait venir cette
réflexion : dans une goutte d’eau – le monde
entier ; dans une sonnette d’hôtel – la musique du
futur !
Tout le monde sait qu’à
côté des sonnettes des chambres d’hôtel on trouve
communément sur le mur un bout de papier qui, compte tenu des
étrangers, explique à l’occupant en trois ou quatre langues
qu’avec une pression sur le bouton de sonnette il appelle la femme de
chambre, deux pressions pour le garçon, trois pressions pour le
bagagiste. Dans cette chambre à Vienne, plutôt qu’un
écriteau, on trouve une plaquette explicative avec trois petits dessins
bien réussis, à côté de trois sonnettes :
dessins d’une femme de chambre, d’un garçon, d’un
bagagiste. Qu’on soit Hongrois, Allemand, Français ou Anglais, de
ces trois illustrations on comprend clairement de quoi il s’agit –
si j’ai besoin de la femme de chambre, je presse ce bouton-ci, si
j’ai besoin du bagagiste, je presse celui-là. Il est
inutile de développer la même chose en trois ou quatre langues.
Cette innovation est non seulement charmante
et originale, mais aussi très intelligente, et pour quelqu’un qui,
au-delà de tous ses soucis trouve encore le temps de
réfléchir, elle ouvre une large perspective
d’opportunités.
À quel point on pourrait rendre plus
charmants, plus simples et plus compréhensibles les textes des
écriteaux officiels si à la place d’explications on
communiquait en images avec le public ! Un panneau multilingue
« Ne pas se pencher au dehors ! » pourrait être
remplacé par un simple petit dessin sous la fenêtre du wagon de
chemin de fer, le dessin montrerait un homme qui se penche par la fenêtre
et un poteau télégraphique en train de lui couper la tête.
À la place du désuet « Attention aux
pickpockets ! » qui a perdu sa force, une habile image montrant
avec quelle facilité on pourrait me voler mon portefeuille dans une
cohue, serait tellement plus simple et suggestive – et tout à
l’avenant.
Car depuis le commencement du monde, image
et dessin ont le grand avantage face à l’écriture
qu’ils sont indépendants du Babel des langues : ce qui est
réalité physique dans l’homme et ses actes, cela a toujours
été la même chose dans toutes les parties du monde, et une
simple illustration suffit pour que tout le monde le comprenne. L’historien
entêté de l’évolution se trompe lourdement lorsqu’il
considère les hiéroglyphes égyptiens comme un état
primitif de la communication et de la conservation de
J’affirme que la méthode de
communication par images, illustrations, joue déjà de nos
jours un rôle plus grand dans la culture pour informer et distraire les
masses que le mode de communication abstraite des notions,
représentée dans des langues diverses et des arguments divers
qu’est l’écriture. L’espéranto des
icônes, ce véritable langage universel en tant que tel,
conquiert le monde à pas de géants ; cet alphabet
illustré, cette encyclopédie gigantesque en préparation
dont les entrées sont constituées par des logos exprimant les
notions en images, enseigne
Cet élan colossal commence
indéniablement par la découverte de
Une photographie bien réussie
– a fortiori une image animée bien réussie ! Ce fleuve
jailli il y a à peine vingt-cinq ans, large de quelques
centimètres et long de centaines de millions de kilomètres qui a
d’ores et déjà plusieurs fois fait le tour du Globe est au
sens large le précurseur de la victoire décisive de
l’iconographie. La naissance de l’image animée est plus
qu’une iconographie, c’est un nouveau chapitre du parler en images,
de la dialectique du parler illustré qui s’ouvre dans
l’histoire des relations humaines – même en tâtonnant
on ne peut voir ce que cela signifie, où cela conduit.
Un art nouveau ? Une culture
nouvelle ? La pensée et l’imagination – le corps et
l’âme, le cœur et la raison, la souffrance et le bonheur du
corps et de l’âme, se rapprocheront-ils les uns des autres ?
Cet escalier conduira-t-il vers le haut ou vers le bas ? Ces bornes
signalent-elles un épanouissement de l’animal humain ou du dieu
humain ? Qui le sait ? Là-bas, entre les masses de marbre
remplies d’images colorées des obélisques et sarcophages
égyptiens le Sphinx avec sa tête humaine et son corps animal,
reste assis, silencieux, ne se dévoilant ni en paroles ni en images, il
fixe l’espace devant lui, muet.