Frigyes Karinthy :  "Qui m’a interpellé ?"

 

 

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l’oracle de macbeth

 

I.

 

Si cela a échappé à quelqu’un, on appelle oracle de Macbeth (d’après la prophétie de cette nature que l’on trouve dans Macbeth de Shakespeare) les prédictions qui, volontairement ou inconsciemment (de bonne ou de mauvaise foi) provoquent ce qu’elles prédisent : ce ne sont donc pas des prédictions à proprement parler, mais des suggestions (plus rarement) conscientes ou (le plus souvent) inconscientes, qui s’immiscent auprès de notre volonté sous le déguisement du stimulus le plus efficace chatouillant notre désir le plus avide, la prescience, afin d’agir sur l’avenir, d’y implanter subrepticement des éléments de volonté étrangers, de le mettre au service d’une volonté étrangère.

Le déroulement de cette sorte de suggestion est schématiquement le suivant :

C’est l’intérêt de A, que B commette certaines actions, ou qu’il change sa volonté de la façon qui convient à A. Mais un transfert de volonté direct (persuasion, incitation), en plus du fait qu’il rencontrerait une résistance vigoureuse, même s’il arrivait à la vaincre, laisserait en A une forte inquiétude car l’évidence du transfert direct de volonté renverrait sur lui en tant qu’instigateur la responsabilité pour toutes les conséquences de l’acte suggéré avec tous les risques de cet acte. Mais si la parole, l’avis de A, a poids et autorité devant B, il est à même de faire endosser préventivement la responsabilité par B en lui communiquant sa volonté sous forme de prédiction : en prétendant que B est un homme tel et tel (et ici il caractérisera B arbitrairement, conformément à son objectif) et qu’il ne tardera pas à exécuter la chose. B, qui est enclin à croire que A est un bon "psychologue" et en tant que tel sait "tirer des conclusions" des caractères, donc il sait aussi prédire l’avenir, se trouvera à partir de ce moment-là sous une double influence. Tout d’abord sous l’effet de la description de son caractère, B comparera involontairement chacune des manifestations de sa nature, il les comparera à cette description – il enregistrera les données paraissant convenables et oubliera les autres ; de cette façon il parviendra rapidement à la conviction que la description était judicieuse ; par la formation de cette conviction sa foi en la psychologie de A est renforcée. Dans ce premier stade de son état sous influence il ne commet pas encore l’action prédite, mais il court déjà aveuglément vers un deuxième stade dans lequel il la commettra. En effet, parallèlement à la découverte que A l’avait parfaitement décrit, l’idée générale qu’il est possible de décrire parfaitement la nature humaine, le caractère de l’homme, entre dans la catégorie des connaissances positives et l’on peut aussi bien le décrire, le définir que tout autre phénomène positif ; or s’il est descriptible et définissable dans ses manifestations, on peut aussi le calculer dans ses activités et ses tendances comme les autres connaissances positives – en d’autres termes, de l’activité présente il est possible de tirer des conclusions sur l’activité future. Ainsi se forme le diagnostic classique, clinique, de la psychose fataliste – l’idée selon laquelle nos actes doivent avoir une relation mécanique de causalité avec une formule psychique déterminée, ce qu’on appelle "le caractère", par lequel le malheureux sujet remplace son vrai moi vivant perdu. À partir de là il ne s’intéresse plus guère à autre chose qu’à l’événement suivant. Sourd et aveugle, il passe à côté de mille possibilités d’accomplissement de ses propres volontés et désirs – il se perçoit non plus à la première mais à la troisième personne qui a une "tâche" ou dans les cas plus graves une "vocation" ; et il ne trouve pas le repos avant d’avoir accompli sa tâche, l’oracle de Macbeth. Ensuite viennent habituellement la rupture et l’anéantissement complets de la personnalité.

 

II

 

Ce serait, je le répète, la description schématique de l’accomplissement de l’oracle de Macbeth. Dans la vie réelle, naturellement, parmi les nombreuses forces et influences formant notre destin, notre bonheur ou notre malheur, cette suggestion joue et a toujours joué seulement comme une composante, depuis qu’un homme peut communiquer son idée et son sentiment à un autre homme dans le but d’influencer son idée et son sentiment. Mais la pensée, l’éducation, la culture philosophique de l’homme européen moderne – et j’en arrive justement à ce que je veux démontrer – transforme son esprit en une terre de plus en plus réceptive à ce type de suggestion : c’est la raison pour laquelle il devient urgent d’attirer l’attention sur l’exceptionnel danger de l’oracle de Macbeth.

L’esprit rationaliste du siècle passé considérait les faits psychiques comme des phénomènes descriptibles, nécessaires au sens fataliste, de même que sa science naturelle considérait le monde des sens ou comme l’art considérait la vie dans son mouvement. Ce mode de perception comme tout le reste était une survivance de l’éducation rationnelle encyclopédique et scientifique antérieure. Si je désigne la tendance appelée brièvement le naturalisme, mettons, en science naturelle par le nom et l’esprit de Darwin, en littérature par le nom de Zola et en art par l’école correspondante, alors en psychologie l’exemple classique qui conviendra sera l’enseignement de Janet[1] et de Freud. Mais le décadent sens des formes des dernières décennies a appliqué le naturalisme de la psychologie de façon erronée, considérant comme identité intérieure ce qui n’était qu’une métaphore : des interactions troubles, prématurées et néfastes se sont manifestées. Le psychisme à demi compris, immature, nourri de cognitions, s’est perdu dans le désordre de plus en plus grand des notions – il a confondu sujet et objet, sensation et spéculation : il a perdu le contrôle, la mesure de la critique qui compare tout jugement d’abord à la réalité et seulement ensuite à la personne du juge, comme le faisaient autrefois les scolastiques. Lévitant en liberté dans le vide de l’autoanalyse, il est arrivé jusqu’à chercher la cause de toute joie et de tout chagrin en lui-même comme le chien cherchant sa queue, jusqu’à considérer sa vie et son bonheur comme conséquence exclusive du même fait qui jadis avait créé la vie. (Comme si la poursuite de la vie ne nécessitait pas à chaque instant autant de force qu’il fallait jadis pour la créer !). Il y a eu ensuite de zélés psychanalystes qui, s’il le fallait, analysaient la cause psychique, le trauma, à partir duquel le professeur Freud a mis sur pied sa théorie de la psychanalyse – et la cause psychique, le trauma, à partir duquel la personne qui avait analysé cela, était encline à en déduire pourquoi telle ou telle théorie devait découler de cette façon de la pensée du professeur Freud.

Et ce simple point de vue : si la théorie est bonne, correcte, si elle correspond à la réalité, et si oui, comment on peut l’appliquer à son but, reconnaître l’harmonie, le bonheur de l’âme – ce point de vue jugé indigne, antiscientifique, ne figurait plus désormais parmi les critères. Et pendant que dehors le soleil brillait l’océan ronronnait, l’enfant heureux du vingtième siècle sautait au dos d’un dragon et allait chevaucher les nuages, en mille neuf cent quatorze l’idée fixe de la "mentalité" a fait germer ses petits fruits savoureux : le choléra et le dégoût. Les autres ont suivi – révolution et contre-révolution ; et pour couronner le tout, pour refaire le chemin trouble de l’évolution de l’Enfant Homme à travers les fumiers et souillures (n’oublions pas : inter feces et urinam nascimur ![2]) vint la carte maîtresse : l’élévation sur un piédestal de l’idée des différences raciales. La haine institutionnelle et la profanation de la mort, de la vie, de l’âme naissante dans l’utérus maternel : l’enseignement, à la satisfaction générale, que, sur le papier tel les chevaux de courses, tous leurs traits de caractère sont donnés grâce à la magistrale découverte qu’on ne fait pas d’un âne un cheval de course. Et ne croyez pas, vous, malheureux égarés, que cette impuissance psychique exhalant la faillite de tout ce qui est beauté, joie, rire espérance n’a pas sa propre dialectique passionnelle, flamboyante : la psyché raciale, la mentalité raciale et autres inepties ont à l’étranger comme chez nous leurs apôtres qui prétendent fermement d’eux-mêmes ne pas être des hommes mais les incarnations d’une sorte de volonté, et que c’est la vie de l’espèce qui "s’accomplit" à travers eux. Et voici le nouvel Européen de souche qui, s’il commet une vilenie, la refile à son père – l’homme fier qui se décharge sur Darwin de la responsabilité de ses actes – les gaillards du genre "ben oui, je suis comme ça !", les "je suis né comme ça", les pantins qui se manipulent eux-mêmes avec des fils imaginaires, les femmes hystériques "on ne peut pas me faire n’importe quoi car je suis comme ci et comme ça", et les autres gâcheurs d’appétit de l’âme sainement avide de la vie toujours renouvelée. Tout comme les autres produits secondaires : les pan-ceci les antipan-cela l’antisémitisme, et ainsi de suite. Et enfin vient la conception morale enchâssée dans cette magnifique vision du monde (que pourrait-elle être d’autre ?) : "les Juifs trichent et volent, assommons les Juifs", plutôt que de dire "assommons les tricheurs et les voleurs ; s’il y a beaucoup de Juifs parmi eux, c’est tant pis pour les Juifs" – poursuivre non pas des mauvais caractères humains mais plutôt des hommes, ce nouveau type d’exorcisme qui n’exorcise pas le diable dans l’homme mais qui exorcise l’homme dans le diable.

Elle est à peu près ainsi, l’âme pour laquelle l’oracle de Macbeth peut devenir dangereux. Une application erronée de résultats mécaniques et scientifiques sur les manifestations de la vie nuit d’une part à la pureté du raisonnement scientifique, et handicape d’autre part la vie là où elle n’est pas assez forte pour s’en débarrasser. Nous oublions que (citant la définition classique de Ostwald[3]) seule la science peut prédire et seulement dans son domaine de compétence, dans la sphère des manifestations mécaniques ; la vie de la vie ne peut rien prédire, pas plus que la volonté de la volonté ; la vie ne peut qu’inspirer la vie, la volonté ne peut qu’influencer, créer et anéantir la volonté : la prophétie d’un être vivant concernant le destin d’un autre ou d’autres êtres vivants est forcément toujours un oracle de Macbeth, une suggestion de Macbeth. Je ressens chaque fois une colère assortie d’une nausée quand le vif désir, la volonté, la protestation désespérée contre le mal, l’avidité du poète pour le bien, être vivant le plus vivant, travaillant la matière la plus vivante, sont qualifiés par la postérité enthousiaste de puissance divinatoire ou de vision de l’avenir, dans la croyance naïve de lui offrir le laurier de la plus grande reconnaissance.

 

III

 

La science expérimentale, sous le signe de l’ultime but, le bonheur de l’homme, examine sans partialité les phénomènes élémentaires, aussi bien respectueux que destructeurs de la vie – les premiers afin de guetter le secret de la création, tandis que les seconds afin d’en changer l’orientation : de même qu’en reconnaissant la nature destructrice de l’éclair elle découvre la force électrique et lui fait tourner des machines, elle peut aussi exploiter les forces destructrices de la vie et les tourner en bien. Ces derniers temps la psychologie expérimentale a appliqué avec un succès l’oracle de Macbeth "existera pour exister", cette dangereuse force destructrice (en la maniant sciemment et prudemment), sous la forme d’expériences d’hypnose thérapeutique strictement scientifiques. Ici, le processus se déroule à vide, court-circuitant les phénomènes secondaires, sous l’assistance d’une bienveillance contrôlée par le discernement, dans une parfaite intégrité. On écarte totalement ici la volonté malade, je pourrais dire en la stérilisant de façon antiseptique ; et dans l’appareil de communication entre conscience et subconscient on fait subrepticement entrer une prophétie calculée, sans danger pour le psychisme, strictement compatible avec ses intérêts vitaux (en général visant justement à vaincre une certaine déficience, une faiblesse de la volonté), donc une prophétie également stérile. On indique au patient endormi qu’il fera ceci ou cela, qu’il se sentira comme ceci ou comme cela, qu’il concentrera son activité psychique dans telle ou telle direction. Il entend l’oracle, sa volonté, sa force vitale ne s’y oppose pas, au réveil il ignorera même que l’oracle n’était qu’un faux oracle, un oracle artificiel, un oracle de Macbeth, il le confondra avec sa propre volonté et, avec la vitesse du déroulement des phénomènes physiques bien préparés dans un laboratoire, sans danger pour l’homme, ou encore à la façon d’un vaccin antivariolique qui provoque la maladie en réduction, contournant ainsi le risque de la maladie, l’âme artificiellement infectée par l’oracle de Macbeth exécutera le contenu de l’oracle et s’immunisera contre d’autres influences néfastes. C’est l’unique domaine où l’oracle de Macbeth joue un rôle utile, et où nous pourrions presque dire que l’oracle de Macbeth a un avenir. Bien sûr il arrive aussi ici et là que l’oracle de Macbeth entraîne un résultat utile, productif ; notamment dans des cas où à la suite d’une inclination le devin est favorablement partial envers la personne concernée, il est enclin à la surestimer et par conséquent, sans le savoir, c’est lui qui se trouve sous influence (c’est pourquoi ce ne sont pas de purs oracles de Macbeth, mais plutôt de faux oracles.). Un tel oracle peut produire un résultat dans les amours naissantes : c’est ainsi que la femme ou l’homme aimé embellit l’autre ; l’amour même rendra l’autre plus digne et plus apte à l’amour – c’est l’explication de tous les miracles générés par la foi de quelqu’un en ces miracles. Ce genre d’oracle, nous le nommons simplement confiance. Un bon pédagogue connaît bien l’importance de celle-ci et, tel un hypnotiseur, l’utilise parfois plus ou moins consciemment. L’expérience pédagogique remarquable selon laquelle une louange bien placée a un effet mille fois plus incitateur et stimulant sur les capacités en développement que mille sévères rabrouements ou réprimandes, je l’ai entendu dire pour la première fois par la bouche d’un officier. Mais mis à part la pédagogie qui est tout de même plutôt une science, l’oracle de Macbeth partial, sous influence, donc non égoïste peut effectivement provoquer un miracle dans un sens bénéfique. J’ai observé un tel miracle dans la vie artistique et littéraire hongroise en effervescence au début du siècle. L’objet du miracle était un artiste à l’âme sensible, par ailleurs médiocre qui, à l’âge où les génies produisent déjà des chefs-d’œuvre dans leur genre, ne créait que des œuvres passablement quelconques, sans rien qui laisserait présager sa future griffe. Cet homme a été jeté par un heureux hasard au beau milieu d’une société bouillonnante, sensible, militante culturelle qui, à la tête de cette époque si avide de culture, enthousiasmée du spectacle de l’embellie occidentale, non seulement espérait et attendait, mais sans le savoir exigeait presque, "prédisait" les progrès de l’art national, en quête avide d’un objet pour son enthousiasme. Différents signes extérieurs tout à fait bruts ont attiré l’attention sur l’artiste en question. Tout à coup s’est répandue la nouvelle superstitieuse qu’un grand artiste était né. Une situation bizarre, inversée, s’est produite au sens où le nom d’un artiste dont tout le monde ignorait les œuvres était brusquement devenu couru et célèbre. Cette bizarrerie a une explication simple. C’était un temps où une tendance progressiste préparait encore fiévreusement les cadres pour une armée culturelle inexistante : elle organisait un corps d’officiers et la hiérarchie de ce corps d’officiers parcourait l’horizon à la recherche d’un chef. "Ignorez-vous qui est X.Y. ?", demandait avec étonnement quelqu’un qui ignorait tout de X.Y. – "X.Y. est, disons, le plus grand peintre !" – et X.Y. est devenu le plus grand peintre sans même le savoir, il a acquis la célébrité avant de créer une œuvre digne de renom, on lui a fait confiance avant qu’il ne mérite cette confiance. Et le miracle s’est produit : l’artiste déjà célèbre s’est mis à créer des œuvres bien meilleures qu’auparavant, et il a fini presque par atteindre la hauteur où on l’avait hissé ; il devint presque aussi grand que l’idole qu’on avait faite de lui. Confer le bon vieil adage hongrois : quelqu’un qui a reçu de Dieu une charge, recevra aussi l’intelligence pour la porter. Il est certain qu’un oracle de Macbeth de bonne foi peut avoir un effet bénéfique pour développer des capacités.

 

IV

 

Mais l’oracle "existera pour exister" est instillé en général, le plus souvent, avec un instinct perfide : son accent est administré depuis la profondeur de l’inconscient par une musique sardonique menaçante. Dans l’oracle se manifeste le désir du devin, le "existera" signifie "doit exister", même s’il promet Canaan, et encore plus s’il promet un écroulement apocalyptique. Vanité, égoïsme outrancier, intérêt particulier, passions incontrôlables – tels étaient les ingrédients de la tambouille diabolique qui bouillonnait dans le chaudron des trois sorcières de la lande quand Macbeth apparut parmi elles pour voir son avenir. C’est de ce creuset que sont sorties les grandes prophéties historiques de la perception matérialiste du siècle dernier (guerre mondiale, écroulement, diverses dictatures) qui ont réussi partout où l’âme opprimée acceptait d’être née pour l’esclavage ; et elle mourrait dans l’esclavage – et le tyran croyait que par ses ignominies il accomplissait une vocation. C’est de ces "devins" que la malveillance vampirique a appris qu’elle peut venir assassiner et rapiner – la victime a déjà été préparée à ne pas s’opposer mais à se résigner ; tels étaient les "devins" qui ont éclairé la peste : la Providence lui avait réservé un grand rôle dans le destin de l’Europe et elle doit se hâter de prendre sa place, se préparer à l’avenir. N’oublions pas que la force de résistance des âmes est inversement proportionnelle à la masse des âmes – que l’âme en masse est plus faible et plus instable et plus influençable que chacune de ses composantes ; le démagogue sait cela fort bien, et le grand prêtre guérisseur coiffé de son bonnet à grelots, le devin politique, le sent aussi. Mais il en va de même dans l’histoire de chaque vie individuelle. Celui qui repense sa vie et guette les frémissements de son âme, remarquera les fils rouges qui ont couru dans sa vie, dans les moments décisifs, les fils auxquels nous pensons ainsi : si j’avais eu le courage à ce moment-là ! Ce sont ces fils qui se sont noués en des boules nuisibles, destructrices, paralysantes, et l’ont empêché d’agir, dont il s’avéra par la suite qu’ils auraient pu lui être bénéfiques. Si tu examines de près un de ces fils, tu te rendras compte que sa racine, sa graine, avait été plantée dans la terre de l’ancien enfant non développé par quelque prophète indésirable, devin malveillant, l’assassin des âmes enfantines.

C’est tout. Celui qui reconnaît le danger de l’oracle de Macbeth doit essayer de s’en prémunir – et doit étouffer en lui l’inclination à prophétiser. S’en prémunir est facile : tu reconnais aisément le vrai et le faux parmi les prophètes. Le faux prophète ne veut participer ni à Canaan, ni à l’écroulement, il ne prophétise jamais pour lui-même, seulement pour les autres. Le vrai applique tout au plus à lui-même la prophétie d’anciens prophètes (le Christ), il ne te tend jamais le miroir du futur, il ne secoue jamais à ton oreille la boîte de Pandore, mais il te prend par la main si tu acceptes sa main, et il essaye de te mener, te guider sur le chemin cahoteux qui bifurque encore et toujours, à chaque tournant : ou vers la vie ou vers la mort, et à chaque tournant il te confirme ton libre arbitre : tu n’as pas d’ordre de marche établi – ce n’est pas au dehors mais au-dedans, dans ton cœur que t’attend l’avenir.

 

Ne te fies pas ç celui qui prédit et "qualifie" – crois celui qui aime et conseille.

 

Suite du recueil

 



[1] Pierre Janet, philosophe devenu médecin et psychologue (1859-1947)

[2] Saint Augustin : « Nous sommes nés parmi les fèces et l’urine »

[3] Wilhelm Ostwald (1853-1932). Chimiste allemand d’origine lettone, prix Nobel 1909.