Frigyes Karinthy : "Vous les avez vus ainsi"

 

 

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LA NOUVELLE GENÈSE

 

Au commencement était la lumière, et les eaux et les terres étaient séparées, nullement autrement que le lait est séparé de l’eau et le maïs séparé du pain. Et le long des fleuves étaient des villes, et dans des villes étaient des maisons, et étaient leurs maisons du café, et dans ces maisons du café avaient habité des mâles et des femelles.

Et les animaux de la Terre avaient brouté dans la prairie et les arbres avaient poussé des bourgeons.

En un mot, il n’y avait rien et ce rien n’avait aucun sens, comme cela apparut de ce qui est lisible ci-dessus, parce que quelle sorte de sens pouvait avoir ce tout, personne ne l’avait su, seulement on vivait sans le savoir.

Et dit alors le István, celui que les Chaldéens nomment aussi le Bárczy, celui du Mystère Éternel. (István Bárczy, le maire de Budapest.)

Créons quelque chose du néant, pour qu’il devienne Loi et Ordre, et que toute chose ait désormais son but.

Car, en fait, je vous dis que l’arbre ne pousse pas vers le bas dans la terre, et si le fils de l’homme a le genou qui lui démange, c’est une raison pour que la sagesse vienne à son cœur et dans un élan miraculeux il ne manquera pas de gratter ce genou.

Après cela il se mit à entreprendre le grand travail de création et de production, enfermant une prompte diligence dans son cœur.

Tout d’abord il se reposa et il vit que tout était bien.

Et alors il prit l’Homme et il le regarda et il dit : fabriquons une peu de boue dans l’avenue du faubourg de Soroksár, pour qu’on ne puisse pas circuler si facilement, sans quoi la circulation est là-bas trop intense et ils risquent de s’écraser les uns les autres, ceux qui sont si chers à mon cœur.

Et en ce temps-là les gens mangeaient de la viande dans leurs chaudrons chaque jour du Seigneur. Et dit le créateur : qu’il n’y ait plus de viande chaque jour, afin que les Écritures s’accomplissent : plus de jours que de kolbász,  et tant va la cruche à l’eau, qu’elle n’amasse pas mousse.

Et fut le soir et fut le matin, le deuxième jour.

Et il l’avait tartiné, étalé, sur l’avenue du faubourg de Soroksár.

Et en ce temps-là on fabriquait son roux au chou farci avec son lard au verrat castré impur, et on ne le refuse pas non plus aux pommes de terre au paprika. Et dit le créateur : Qu’il n’y ait pas de lard, parce qu’il est écrit : Un bon prêtre ne cesse jamais d’apprendre et un bien vaut mieux que deux riens du tout.

Et il songea au riz et il dit : qu’il n’y ait plus de riz non plus.

Et fut le soir et fut le matin, le troisième jour.

Et dans le café ruissellerait alors le lait et au-dessus seraient les écumes de crème courroucée. Et dit le créateur : qu’il n’y ait pas de crème et que l’eau et le lait se mêlent ainsi que le pain avec l’avoine. Car il est écrit : contente-toi de ce que jeunesse passe.

Et fut le soir et fut le matin, le quatrième jour.

Et il ordonna à la charrette de la foudre de se retirer dans sa tanière et le croissant dans son pétrin, et dit : qu’il n’y ait pas de petit pain, car il est écrit que ce que tu peux faire le jour même, ne le remets pas au lendemain, et si tu peux aujourd’hui le remettre au lendemain, alors fais-le.

Et fut le soir et fut le matin, le cinquième jour.

Et il ordonna aux plantes de retourner à la terre et aux arbres également. Et alors que l’auteur des journaux écrivait tout cela sur le papier du journal, il dit d’une voix tonnante : qu’il n’y ait plus de papier non plus, car il est écrit qu’il ne soit pas écrit.

Et fut le soir et fut le matin, le sixième jour.

Et il dit : qu’il n’y ait pas cigarettes, et qu’il n’y ait pas de petite monnaie, et qu’il n’y ait pas de café dans la maison du café, et qu’il n’y ait pas de mil dans la bouillie de mil, et qu’il n’y ait pas de pain dans le ventre, et qu’il n’y ait pas de mains dans du fer, et qu’il n’y ait pas de mer, pas de transfert et pas de manières. Et qu’il n’y ait pas de mouche, et qu’il n’y ait pas de bouche, et qu’il n’y ait pas de couche, et que le millefeuille soit moelleux et que les espoirs ne soient pas fallacieux, les haricots ne soient pas longs et le carré ne soit pas rond.

Et dit le Malin : Eh bien dis donc, qu’est-ce que c’est que ce travail de création ? Je n’ai entendu énumérer que des choses qui ne doivent pas être. Tu appelles cela une création ?

Et dit le István :

Ton âme est vile ! Voici, je vais te dire des choses qui soient ! Vois-tu tous ces lampadaires le long des rues ? Vois-tu la clarté qu’ils répandent ? Écoute bien ce que te dira ma bouche.

Et dit le István : Que l’obscurité soit.

Et l’obscurité fut.

 

Suite du recueil