Frigyes
Karinthy : "Vous les avez vus
ainsi"
BAIN
DE SANG 79[1]
Roman
Auteurs : Gaston Leblanc et Maurice Leroux
(Supplément gratuit à l’attention de nos abonnés. Les futurs nouveaux abonnés recevront les épisodes précédents ainsi que le roman suivant des célèbres auteurs, le Tibia ensanglanté. Les acheteurs d’un épisode particulier recevront l’épisode suivant à demi-tarif. Si vous commandez quatre exemplaires de notre revue, on vous offre trois mois de l’année précédente à un tarif réduit. Le détenteur de cinq épisodes peut obtenir notre supplément « Tape-à-l’œil » arrêté il y a huit ans, pour seulement 10 couronnes et 50 fillérs, en en adressant le montant à la rédaction parisienne du Matin, à condition que d’ici-là un cessez-le-feu soit signé.)
238e épisode
Ensuite
Lenoir regarda sa montre, il sortit du tiroir la petite chaîne à
laquelle était accrochée la clé de la cave, descendit,
ouvrit la fenêtre du rez-de-chaussée, l’enjamba, monta dans
sa voiture et alla sonner chez Levert.
Il dit d’une voix tranquille :
- Huit heures quarante-cinq sont
passées du trente-deuxième de quatre secondes et demie. As-tu
réceptionné la peinture ?
Levert siffla un coup bref. Là-dessus
s’ouvrit aussitôt la fenêtre du quatrième étage
dans laquelle apparut la tête de Lebleu. Le
commandant entra par la fenêtre, puis alla à la porte et scruta
soigneusement le dehors.
- Tout va bien, acquiesça-t-il,
le pauvre diable a déjà dévissé les pis de la
perruche, et si Lejanne n’ouvre pas
l’écluse à temps, il les coudra sans tarder sur sa barbe.
Vous ferez bien de vous méfier : l’édredon rayé
bleu, vous devrez l’aiguiser, coupant comme un rasoir.
Ils montèrent tous en voiture, ils
se rendirent du côté de la rue de Street, à l’endroit
marqué d’une croix, en guise d’avertissement que ce
n’était pas là qu’il fallait chercher
l’orifice.
Lerose les attendait déjà dans la
prison.
Il sauta de sa chaise illico.
- Sommes-nous à
l’heure ? – demanda Lenoir en souriant.
- Ça baigne ! Cela fait
exactement dix-huit ans, huit mois, deux jours, six heures et dix secondes
qu’en prenant sur moi le meurtre crapuleux de Lelilas,
je fus condamné à vie à la place de l’assassin et je
me suis laissé enfermer ici pour pouvoir nous rencontrer à
l’heure et au lieu prévus. Mais ne perdons pas de temps, car dans
un kilo et demi et deux mètres six secondes je devrais être
à la gare.
Ils sautèrent du bord l’un
après l’autre.
Le peintre tapota les deux aunes de
fumée qu’il avait fourrées dans la poche de son gilet. Elle
était toujours à sa place.
Legris les conduisit derrière le piston.
Il demanda comme accessoirement :
- Ça bougeait encore ?
- À vos ordres,
Commandant ! – se plia poliment et modestement Lenoir. – Quand
nous l’avons cousu dans l’étui à cigarettes, il
bougeait.
- Vous l’avez
coupé ?
- De haut en bas. En le tirant sur le
côté.
- Les oreilles aussi ?
- D’un coup de lame. Il fallait
faire attention que ça ne chuinte pas.
- Ça va. Revissez la
boîte remplie, trempez-la dans le tonneau jaune, attendez que ça
sèche, servez-vous du battoir, puis faites-la ramollir à feu
doux, avec beaucoup de jus, servez avec du citron.
Ils ouvrirent la trappe : le bateau
monta vite à l’étage en cliquetant.
Lebleu sortit son thermomètre.
- Encore cinq minutes, dit-il et il le
remit.
Lejanne s’esclaffa mais il paraissait
passablement nerveux. Il dit :
- Diable ! Encore cinq minutes et
on verra le résultat.
Une… Deux…
Trois…
Quatre…
C…
À ce moment une tête
apparaît à la lucarne de l’horloge du clocher. Suivie du
corps. Il se penche en avant, il saute. Il tombe. Il est à trois
mètres du sol.
À deux mètres.
À un mètre.
À un demi-mètre.
(à
suivre)