Frigyes Karinthy :   "Parlons d’autre chose"

 

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enquÊte historique sur la pÉnurie hongroise d’argent

 

Dissertation académique

 

temps prÉhistoriques

Déjà les anciens Hongrois ignoraient l’argent, ce que détaille si bien Lemaître, l’excellent historien, dans son ouvrage fondamental « Histoire du Nimolisme hongrois ». Étudiant le cas sur un plan linguistique il s’avère que le mot hongrois "pénz" (argent) provient de l’ancien terme "nincs" (manque) à travers "néncs", "néndz", "vénz", et "pénz". L’excellent linguiste avait trouvé la racine du mot après une longue recherche ; mais même lui n’a pas été en mesure de trouver de l’argent.

 

Âge des princes rÉgnants

 

Les princes régnants hongrois vécurent longtemps dans la misère jusqu’à ce que Saint-Étienne reçût enfin une couronne. Pour cette couronne-là beaucoup de vicissitudes survinrent. Endre II a été le premier qui, voulant donner un essor aux finances hongroises, se lança dans une spéculation plus hasardeuse : quand on lui demanda s’il préférait une épée ou une couronne, il choisit l’épée dans l’espoir de réussir éventuellement à la vendre pour deux couronnes. Malheureusement son entreprise ne fut pas couronnée de succès.

 

Invasion des mongols

 

En 1244, les Mongols parcoururent toute la Hongrie, mais n’ayant pas pu, eux non plus, trouver de l’argent, ils se retirèrent pour rentrer chez eux. Les Mongols ont une belle démarche droite, à petits pas, pieds vers l’extérieur.

 

le dÉsastre de mohÁcs

 

À l’occasion du désastre de Mohács, quand le roi Lajos II s’est noyé dans le ruisseau dont le cours était en hausse, de nouveau se produisirent des chamailleries pour cette même couronne. À la fin ce sont Szapolyai[1] et Ferdinand qui se partagèrent la couronne – chacun toucha vingt-cinq kreutzers.

 

domination turque

 

Après cela la Hongrie resta entre les mains des Ottomans pendant 150 ans, ou convertis en couronnes, pendant 300 ans. Grâce à cela, les Ottomans ne purent pas porter la main sur d’autres, sur quoi un certain nombre d’états balkaniques leur tirèrent dans le dos, sur quoi les Turcs lâchèrent vite la Hongrie. C’est à cet instant que la reprise du château de Buda devint d’actualité, ce qui put ainsi longtemps occuper les affaires du commerce des Hongrois. Ils confièrent la négociation pacifique de l’affaire à Eugène de Savoie, en effet un petit espoir perça pour un essor des finances hongroises. Malheureusement il apparut que le château de Buda avait trop peu de recettes par rapport aux dépenses, et ceci malgré certaines actions très attractives. Donc un fiasco.

 

paisible Évolution

 

Les différents gouvernements successifs firent tout pour un essor et le maintien de la pénurie hongroise d’argent. La pénurie hongroise d’argent se muscla avec bonheur, et bientôt elle infiltra jusqu’aux couches les plus larges de la société. L’invention de la question hongroise d’argent revient au général Montecuccoli[2]. Sous "question d’argent" il convient d’entendre la question : "Pourquoi il y a pénurie d’argent en Hongrie ?". Cette question d’argent est le grand mérite des hommes politiques ; malheureusement ils n’ont pas trouvé jusqu’à présent la "réponse d’argent".

 

rÉvolution

 

Un jour, en 1848, se répandit à Vienne la nouvelle qu’on aurait vu un homme qui avait de l’argent. La question du manque d’argent en progrès glorieux fut profondément offensée par cette hypothèse. Alors vint ce grand combat dont le résultat fut la décision qu’en Hongrie il n’y aurait plus de maîtres, plus d’esclaves, et chacun devrait garder l’argent dont il disposait. Alors enfin il s’avéra que personne n’en avait.

 

billet de banque

 

Après qu’il devint évident que cette nouvelle au sujet de l’argent n’était qu’une légende millénaire, la circulation monétaire en tant que telle passa lentement dans la conscience collective, et elle ne se manifesta désormais que sur du papier ou dans des poèmes. L’état lui-même cultive ce culte de la poésie, sous la dénomination de "billet de banque", il fait imprimer et distribuer des poésies. Ces petits poèmes romanesques traitent le sujet suivant : si quelqu’un présente un de ces petits poèmes à l’État, il reçoit en échange une minuscule piécette d’or au pays des rêves. C’est l’État qui promet cela. Or, si l’État promet quelque chose il le tient. S’il promet de l’argent il le tient bien aussi.

 

Suite du recueil

 



[1] Jean premier Szapolyai (1487-1540). Roi de Hongrie.

[2] Raimondo, Comte de Montecuccoli (1609-1680). Généralissime des troupes de l’empereur germanique.