Frigyes Karinthy : "Images animées"

 

 

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Assistance[1]

 

Mon ami me raconte :

Le train approchait de Budapest lorsque survint l'accident. C'était un problème d’aiguillage ou quelque chose de semblable. - Bref, le train freine brusquement, pris d'une violente secousse ; de mon siège, je pique du nez, juste au bon moment car du filet voisin arrive, d'une magnifique envolée, une valise suralimentée. Fort heureusement, elle ne fait que me frôler le front et le nez, mais cela suffit, le sang jaillit, la peau sur mon front éclate, et voilà une jolie éraflure proprette sur le bout de mon nez Grognements et jurons dans le compartiment voisin, pendant que le train se remet lentement en marche.

Je m'essuie la figure, très ennuyé, et soudain surgit devant moi un monsieur de haute taille, au visage énergique – je ne sais même pas de quel compartiment il sort, je ne l’avais pas vu tout à l'heure. Il me crie avec autorité :

- Que faites-vous là, n'y touchez pas ! Laissez-moi le voir tout de suite !

Je m'arrête, apeuré comme un gosse... Bien sûr, ces médecins n'aiment pas qu’on se tripote la figure de ses mains sales – la septicémie, etc. etc. Mais comme ils sont gentils consciencieux. Ils accourent dès qu'il y a malheur, L’instinct de porter secours est dans leur sang. Une chance d'avoir eu un médecin tout près Je lui tends ma figure, gémissant.

- Vous voyez... c'est mon front qui s’est ouvert, je pense... et puis ça, ici...

- Bien, bien, tenez-vous tranquille. Là.

Il tourne et retourne ma figure, examine les plaies Il approuve du chef, satisfait.

- Bravo. La lésion frontale fait quatre centimètres de long au moins. La peau du nez a aussi craqué. N'y touchez pas malheureux – laissez le sang couler. Si on élargissait un tout petit peu cette déchirure ?

Du coup, je suis ébahi. – Pourquoi bravo, pourquoi le laisser couler – et pourquoi l’élargir ? Ce doit être un médecin très moderne, celui-là, avec une méthode scientifique toute nouvelle.

- Mais... j’ai mal... Monsieur le...

- Ne vous en faites pas ! Vous tiendrez le coup jusqu’à Budapest. Là, vous venez avec moi immédiatement, j’ai un ami chirurgien tout près, nous allons le voir. Signez ici.

Jésus – Marie – Joseph ! Une opération grave – je dois donner mon consentement, le chirurgien, refuse de prendre seul la responsabilité ! De tout mon corps, le me mets à trembler. Il me tapote l'épaule avec indulgence.

- Allons donc, ne vous affolez pas Il ne faut pas payer d'avance. La procuration est exempte de timbre. Le médecin aussi vous fera crédit pour le constat médical.

- Le médecin... c’est-à-dire... Monsieur le Docteur, vous n’êtes donc pas docteur ?

Il hausse les épaules d'un mouvement dédaigneux.

- Absolument pas ! Je suis Maître X... d'ailleurs vous pouvez vous féliciter d'avoir reçu justement de moi les premiers soins du recours judiciaire. Appelez-moi Népomucène si on ne fait pas cracher 1000 balles de dommages et intérêts au minimum à la Compagnie de chemin de fer.

 

 Suite du recueil

 



[1] Traduction de Agnès DukeszMessage à Agnès Dukesz