Frigyes
Karinthy : "Images animées"
neiges d’antan
Qu’il est beau
quand il voltige ! Il vagabonde en l’air, il médite, il se
retourne discrètement sur un autre flocon de neige – ce dernier
doit être de sexe féminin – il le suit un moment avant de
changer d’avis, oh, ces filles d’aujourd’hui, pense-t-il,
où vais-je en trouver une blanche comme neige – il
s’élance, il se cogne au carreau de ma fenêtre, il s’y
agrippe, étonné.
Flocon de neige…
Merveilleux superflu, cadeau inattendu,
joie gratuite, cerise sur le dur et pénible gâteau de notre globe,
afin que tu prennes ce qui est dessous pour de la frangipane.
Flocon de neige…
Blanche et minuscule colombe de paix, de
légèreté, de bonheur éphémère, menu
mouchoir blanc que l’humeur passagère de tes mornes ennemis,
l’Hiver et
Le temps que j’aie écrit et
que tu aies lu cela, il a disparu sans laisser de trace, tu me demandes,
étonné, ce que je demande à la neige, à la neige,
à la neige d’antan, à la neige d’hier, à la
neige de l’instant précédent – son image, si tu la
peignais, tu ne pourrais même pas l’achever, même
l’objectif du photographe ne pourrait pas le rattraper.
Ce n’est guère un sujet pour
journaliste. Une heure plus tard il a perdu son actualité.
C’est seulement dans la ballade de
Villon que « mais où sont les neiges d’antan ?[1] » s’est figé en
vie éternelle.
Les neiges d’antan…
Et pourtant, avant-hier matin, j’ai
cru entendre des voix. J’étais en train de me quereller pour
quelque chose dans un bureau, et alors un employé en blouse bleue
s’est amené et a furieusement réprimandé
quelqu’un.
- Fuksz,
où sont les neiges d’antan ?
Et Fuksz
n’a répondu ni par l’étonnement, ni en haussant les
épaules, mais a répondu très objectivement et de
façon factuelle, sans lever les yeux : « dans la
troisième case de la rangée supérieure, je l’ai
déjà dit à l’accessoiriste ».
J’ai cru un instant qu’ils
blaguaient, puis j’ai compris que je me trouvais dans un bureau du
très populaire théâtre d’opérettes où
l’on préparait la reprise d’une pièce qui se joue en hiver.
Ici elles existent encore. En bon
état, au sens propre et non au sens figuré comme dans les rimes
du poète.
Ô, art immortel !