Frigyes
Karinthy : Recueil
"Panorama", titres
dÉluge[1]
La première du
Théâtre de l’Eau hier matin après l’heure de la
fermeture, a cascadé en une ovation extraordinaire. On y a
présenté la dernière œuvre intitulée
"Chute d’eau" de Ede Glace et Pál Flamme,
auteurs de Vapeur de Berlichingen.
Dans sa réflexion ainsi que dans l’exécution, la nouvelle
pièce est digne des traditions de ce théâtre, nous sommes
certains qu’après les frictions inévitables le public ne
peut pas rester froid à la suite de l’image inoubliable que nous a
découverte surtout le dernier acte. L’action de la pièce se
déroule dans les temps préhistoriques. Le héros,
Noé, ayant eu maille à partir avec la société
pécheresse, construit une barque, y collecte les espèces animales
qu’il veut sauver de la perdition : zèbres, chevaux,
chameaux, maîtres-nageurs et critiques. La température de
l’histoire ne cesse d’augmenter – les dialogues pulsent de
plus en plus véhémentement, et quand enfin au dernier acte
s’abaissent les robinets, toute la salle est submergée par
l’eau, le public est censé être secoué par
l’enthousiasme comme par une douche brûlante.
Le rôle principal féminin est
joué par Mariska Citédeau. Sa création
divise sous tous les angles son contenu en tempos parfaitement
réguliers, on voit qu’elle s’est profondément
immergée dans l’étude du rôle. Adél Danubie
apparaît quelques instants plus tard sur la scène, dans le
rôle de Lea,
femme échouée mais qui finit par émerger. Son art flotte
bien au-dessus des vagues : elle a vraiment nagé dans le
succès – toute la représentation a coulé de deux
tuyaux installés, elle a jusqu’au bout gardé le niveau
indiqué sur les échelles graduées placées des deux
côtés de la salle. Dans le rôle du fils mineur de
Noé, le petit Tibor Patauge
a fait sensation – toute la troupe suait pour le soutenir, mais il a
accosté victorieusement aux rivages du succès. Sa petite voix
enchanteresse a massé le cœur de son auditoire – son humour étincelant
est bien passé, même auprès de ceux qui
généralement sont d’avis que dans un théâtre
aussi sérieux, il convient d’éviter les
éclaboussures.
La musique chaudement ruisselante de Emil Zerkodeau
confère une ambiance agréable à la pièce. Sa
chanson s’intitulant "Grosse poupoule" a récolté
un grand succès : le public a frappé l’eau pendant de
longues minutes et a fait bisser le numéro. L’intérêt
pour la pièce s’est en effet manifesté dès la
première : tout le bassin était plein, une multitude de
maillots et de bonnets bariolés ont célébré les
acteurs et les auteurs qui ont dû remonter sur le tremplin de nombreuses
fois à la fin de chaque acte. Il est certain que ce début
encourageant sera suivi par d’autres grands succès – nous
sommes persuadés que la chaudière centrale chauffe les auteurs de
sérieuses ambitions littéraires – qu’ils ne se
laisseront pas aveugler par l’espoir d’un succès bon
marché, ils ne piqueront pas des têtes dans la situation et ne
nageront pas avec le courant – ils se dirigeront courageusement,
librement, mais avec une sage modération vers les eaux profondes, comme
doivent le faire ceux que l’art et la littérature
considèrent depuis longtemps comme des gros poissons.
La mise en scène louange la main
experte de Dániel Jób. Les aquarelles
servant de décors sont splendides – le travail des
comédiens reflète la main de fer du maître
sévère qui ne permet pas une seconde de plonger sous le niveau
requis. Nous nous félicitons d’apprendre que l’excellent
metteur en scène compte désormais rester dans cet état des
eaux, et la prochaine fois il prévoit de monter "Épiphanie
ou le baptême des rois" de Shakespeare, projet ambitieux de son
théâtre. Une reconnaissance particulière doit aller à
la majestueuse scénographie du final : quand s’ouvrent les
écluses et le raz de marée du châtiment déferle en
bouillonnant sur la scène, tandis qu’en haut de la barque
l’imploration de Noé et des maîtres-nageurs monte
majestueusement vers les baignoires. Cette scène a définitivement
convaincu et ému le public : pas un seul pied n’est
resté sec, toutes les mains se sont mouillées, le bassin, comme
un seul homme a longuement agité sa serviette.