Frigyes
Karinthy - Poésies : À nul je ne
peux le confier
beau
Souvenir
En face il y avait un grand immeuble gris
Latéralement une boîte aux lettres rouge
Au bord de ce trottoir, où nous nous arrêtâmes
Il se mit à pleuvoir petite pluie perfide
J’ai levé un regard en biais vers l’horloge
Pendant ce temps juste pour causer
Distraitement et demi plaisantant
Je me mis à lui faire la cour dire qu’elle
Etait belle en larges métaphores boiteuses
Et lors soudainement je l’ai mieux regardée
Et je restai pantois ravalai mon discours
Ses paupières étaient abaissées et tremblaient
Et sa bouche arrondie ouverte palpitait
Comme un petit poisson qu’on a sorti de l’eau
Ou bien un oisillon tout juste éclos au nid
Qui ouvre grand sa gorge tapissée de velours
Elle était une ipomée un papier de soie
Frappée par la pluie et bêtement assoiffée,
Ballottée renversée et se laissant mouiller
Car alors moi j’étais déjà penché tout près
Largement pétrifié dévoré de désir
Violemment avidement cruellement
J’ai brodé sa louange je lui ai déclaré
Qu’elle était merveilleuse et j’ai exagéré
Outrageusement en des mots invraisemblables
Et en discours ailé claquant chat à neuf queues
Elle aspirait des yeux à la fois de la bouche
La pluie tiède qui ruisselait sur son visage
En même temps la pluie maintenant fouettait
Et chaque mot déjà devenait vrai enflait
Je me tus affolé et je me détournai
Alors nous nous quittâmes sans nous saluer
En cherchant du regard si quelqu’un nous voyait
Une nuée d’oiseaux ivres tambourinaient
Tantôt en s’élançant tantôt ralentissant..