Frigyes Karinthy - Poésies : À nul je ne peux le confier

                                                           

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       UN DÎNER[1]

À trente-trois ans, vers la fin mars,

J’ai été invité à dîner chez les Lóránt.

Nous étions treize à table (touchons du bois).

Je me suis dit que quelqu’un allait mourir.

 

On nous a servi de l’agneau panné avec de la salade de concombre

(Sans parler des hors d’œuvre)

Et pas mal de vin rouge – moi, j’appréciais même le pain,

Même le pain, je l’appréciais

 

Un peu plus tard est arrivée une dame aux cheveux roux, une certaine Olga,

On murmurait un tas de choses à son sujet.

Elle a fait tomber sa serviette sur mes pieds et l’a ramassée elle-même.

Je lui ai dit : merci.

 

Quelqu’un nous a rappelé la mort d’un certain Kovács

D’autres ont prononcé le mot : vie, d’autres encore, le mot : amour,

Et personne ne s’est évanoui, personne n’a hurlé

Je me suis efforcé de sourire.

 

Quelqu’un a étendu la main par-dessus la table pour prendre la corbeille à pain.

Je lui ai dit : prenez donc mon pain, j’en aurai un autre.

J’ai versé du vin à plusieurs convives, Monsieur Kövess a remarqué

Qu’il n’en restait plus pour moi.

 

Il m’a dit : Cher maître, pourquoi êtes-vous si soucieux ?

C’est lui ai-je répondu, à cause de cet entretien que j’aurai demain.

Ô, ajouta-t-il, flatteur, si vous m’entendiez

Parler de vous autour de moi.

 

Le directeur, poursuivis-je, a dû être mal informé,

Par qui ? me demanda-t-on un peu partout.

Monsieur Jávor me posa également la question.

Pensif, je l’ai regardé.

 

Vers minuit, nous sommes allés faire un tour dans le parc

Je me suis isolé et, assis sur un banc, j’ai pleuré.

Lorsque je suis revenu, un valet m’a apporté une lettre

Dans laquelle il était dit que je devais m’en aller sur-le-champ.

 

Ensuite, on a raconté que Jávor avait gagné trente millions.

Kövess s’est tourné vers moi et m’a dit : ça alors !

On lui a demandé ce qu’il pensait de mon affaire.

Il a haussé les épaules et a détourné son regard.

 

Quelqu’un insista, il fit de la main un geste furieux

Voyons, dit un troisième, c’est vous-même qui l’avez dit…

Ce n’est pas vrai ! » - s’écria-t-il, indigné – mais moi, je n’étais plus là.

 

Et retentit la sonnerie du premier tram.

 

Suite du recueil

 



[1] Traduction de Georges Kassai.