Frigyes
Karinthy – Poèmes parus dans la
presse
Le
corbillard
Une voiture noire longeait
le Boulevard,
Au
mois de mai qui doit survenir chaque année,
Les
arbres prospéraient, bourgeonnaient, fleurissaient
Et
de charmantes dames jacassaient de bonheur
Des
carrosses ouverts cahotaient gentiment
En
direction du Bois, aussi loin qu’on pût voir,
La
voiture noire seule avançait parmi eux
Complètement
fermée, à son pas régulier.
À
l’intérieur régnait une douce pénombre,
Trois
hommes dénudés, blanchâtres reposaient
Dans
une atmosphère passablement glaciale,
Le
ton entre eux n’avait rien de décontracté.
Ils
portaient une marque attachée à l’orteil,
Sur
ce bout de papier un constat de police.
Ils
étaient couchés nus sur un sommier de neige,
Un
édredon de givre au-dessus de leur tête.
Pendant
que de la glace sur ses cheveux suintait,
L’un
dit le visage immobile :
À
Mohács vous avez échoué ?
Et
dit l’autre : c’est ça, vraiment, comme un hamster.
Et
dit l’un : êtes-vous restés longtemps dans
l’eau ?
Et
dit l’autre : mais oui, au fond quatre longs jours,
Et
dit l’un : j’ai sauté à Buda.
Et
dit l’autre : c’était du haut du Pont aux
Chaînes.
Et
dit l’un : et comment alors était la vôtre ?
Et
dit l’autre : brunette et si bien potelée,
Et
dit l’un : tout juste comme était la mienne
Et
dit l’autre : eh bien, ma foi ça se pourrait.
Et
dit l’un : dites-moi quel était donc son nom ?
Et
dit l’autre : c’était Catherine Ringaráz,
Et
dit l’un : alors là, ça c’est
phénoménal !
Adonc
vous êtes Pál Csempe !
Je
croyais que c’était vous, l’élu qu’elle aimait.
C’est
pourquoi j’ai sauté, moi, bouc pris de tournis,
Et
dit l’autre : donc ce n’était pas
véritable ?
Pourtant
vous étiez cause de mon désespoir,
Et
dit l’un : ce n’est pas vous qu’elle
chérissait ?
Et
dit l’autre : il y avait donc encore espoir ?
Et
dit l’un : mais alors qui l’a eue dans ce cas ?
Dit
alors le troisième : moi.
Œuvre posthume