Frigyes Karinthy :  "M’sieur"

 

 

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mes expÉriences[1]

 

Cest sous le signe magique du magnétisme et de l’électricité que s’est écoulé le mois de novembre. La paillasse de la salle de physique est continuellement recouverte d’appareils, de piles, d’inducteurs, et de dynamos. Des choses effroyables se sont produites : Pollakovics est monté sur un tabouret à pieds de verre et on lui a envoyé une décharge de courant électrique, alors il s’est mis à faire des étincelles, Pollakovics, et ses cheveux se sont dressés sur sa tête. Müller nous a expliqué que Pollakovics, en tant que corps humain, est un bon conducteur. Et là-haut, sur son tabouret, l’air humble et recueilli, comme il sied à un bon conducteur, Pollakovics songeait: portée par les ailes du courant des électrons, une pensée, timidement joyeuse, lui traversa rapidement l’esprit : après cet exploit, Müller ne pouvait que lui changer son trois en douze – car, enfin ! Comment pourrait-il, lui, être un mauvais élève, lui qui a si bien conduit le courant électrique! Il a le vague sentiment que le courant électrique ne passerait pas à travers quelqu’un qui serait mauvais en physique, car il est au service du professeur, et se trouve, par conséquent, très bien renseigné sur la situation et le carnet de notes.

En rentrant à la maison, je m’achète un aimant. Ça sait faire des choses stupéfiantes un aimant, mais je ne suis pas satisfait des résultats. J’ai pris des décisions en cours de route: sitôt arrivé à la maison, je redresse le morceau de métal en forme de fer à cheval, puis je perce un trou au milieu avec.., euh... disons... avec le coupe-papier pointu de papa (éventuellement, avec des ciseaux), et m’en fais un compas, mais en forme de boussole, bien sûr, pour qu’il puisse montrer la direction au cas où il se trouverait entièrement incliné vers le bas: qui sait, il peut y avoir un grand tremblement de terre, alors la maison bascule sur le côté, comme un bateau — et moi je connaîtrai quand même la direction, ça sera formidable ! Je décide avec enthousiasme de ne plus jamais sortir à l’avenir sans boussole.

Je ne suis qu’un grand projet palpitant lorsque j’arrive chez moi : je vais fabriquer aussi une fontaine de Heron, pour sûr, et des hémisphères de Magdebourg, si vous voulez le savoir, et une pile Leclanché. Je ne trouve que ma sœur à la maison et je me mets à lui expliquer avec passion l’expérience du vide de Torricelli. Alors, qu’est-ce qui soutient, à ton avis, la colonne de mercure de soixante-dix centimètres ? dis-je d’un ton moqueur. Ah non, tu ne le crois pas ? Bien, regarde un peu, je remplis d’eau ce verre, je place en dessous un morceau de papier – et maintenant regarde : je retourne le tout et l’eau ne coule... oui, évidemment... maintenant, ça coule, parce que tout simplement... Bien sûr, c’est pas en dessous du verre qu’il faut mettre le papier, je l’avais oublié.

Il m’en faut plus pour me décourager. Avec un peigne que j’ai bien frotté, je ramasse des petits bouts de papier. Mais, ma sœur, pour m’agacer, insinue que les morceaux de papier collent au peigne tout simplement parce qu’il est crasseux.

Je passe à la pile Leclanché. C’est un problème un peu compliqué. Le bocal à conserves ferait tout à fait l’affaire, mais, où trouver de l’étain ? Du laiton, ça irait aussi — Ah ! Si on pouvait fondre le robinet de la salle de bains Seulement, voilà, ce genre d’entreprise risque de se heurter à des tas de difficultés, et je ne sais même pas si, par la suite, je réussirai à convaincre ma famille de l’importance de mes découvertes et à leur faire comprendre que ces découvertes exigent de leur part certaines privations, certains sacrifices.

Par contre, je vais pomper l’eau du broc, oui oui, et faire une démonstration de la pression atmosphérique, et oui. Immédiatement, je jette sur papier le plan de ma pompe à air, je suis entraîné par de merveilleux projets utopiques. Je vais pomper l’air de toute la pièce, oui, de toute la pièce, et tous les objets perdront leur force de gravité.

Marie, notre bonne, pense que moi, c’est une baffe que je vais pomper de mon père si je ne retire pas tout de suite du mortier le vinaigre et les morceaux de charbon que j’y ai mis. On commence à regarder les sciences naturelles avec méfiance – mais quoi ! On ne peut pas faire la révolution sans bouleverser l’ordre établi. Alors, vous ne croyez pas Newton et Copernic ? Regardez un peu – cette lampe, disons que c’est le Soleil, l’astre qui se déplace sur un plan libre. Regardez, l’aimant, je le place ici – il représente la force de gravitation. Ou bien... non... pour représenter le Soleil, prenons l’aimant, pas la lampe; cette lampe ce sera tout simplement la Terre. Voyons... voyons... Maintenant, imaginez que cet aimant (le Soleil, n’est-ce pas) que cet aimant reste fixé à l’endroit où je le tiens. Maintenant, il éclaire le côté gauche de la lampe, d’accord ? Oh, ça va, Mici, ne sois pas aussi bouchée ! Mais si, maintenant c’est ça qui éclaire la lampe, et pas le contraire, puisque nous avons dit que la lampe était un corps sombre. Bon, voyons... combien de temps ça dure ? Eh bien, tant que la Terre, ou si tu veux, la lampe ne tourne pas, ça ne nous mène à rien car nous n’aurions qu’une succession de jours et de nuits, et les saisons n’existeraient pas. Heureusement, la Terre doit elle aussi bouger – elle doit graviter – elle doit bouger, bon sang ! Là! Vous voyez ?! C’est comme ça qu’elle bouge, la Terre... C’est comme ça qu’elle doit bouger – et pourtant elle bouge...

C’est pas ma faute, à moi, si la lampe s’est cassée. Elle était mal fixée – la vis ne tenait pas – Oh ! Mais ça, je la trouve naturelle leur réaction Ces juges ingrats, incompréhensifs, qui m’ont privé de dîner et enfermé dans la chambre de bonne. Ils ont fait exactement la même chose à Galilée. Mais on ne peut pas cacher la vérité sous le boisseau. Eppur si muove !

 

Suite du recueil

 



[1] Traduction de Françoise Gal