Frigyes Karinthy :  "Trucages"

 

 

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Psittacose[1]

 

Quelle stupidité, non mais vraiment, cette nouvelle maladie. Un décès n’est pas un événement drôle, ni pour celui qui le subit, ni pour celui qui le regarde. Mais si ce n’est pas drôle, que ce soit au moins sérieux, que s’y trouve au moins un trait qui élève, qui secoue et qui pacifie dans la majesté du tragique. Tomber sur le champ de bataille, ou être un arbre foudroyé – ça oui. Il existe d’autres types de décès qui ont leur style : se consumer de phtisie est un genre de mort très poétique, une cardiopathie peut aussi être digne d’une poitrine noblement sensible, une folie ou une dépression nerveuse sont carrément honorables pour un génie car elles constituent une preuve irréfutable : quelqu’un qui a perdu son esprit présuppose qu’il en a eu un, sinon il n’aurait pas pu le perdre.

Mais la psittacose du papegai ?

Une histoire fâcheuse, qu’on ne peut pas prendre au sérieux, malgré les conséquences sévères qu’elle peut entraîner.

Imaginez l’effet que cela ferait de lire sur une stèle : XY a vécu quarante ans, il est mort d’une psittacose de papegai.

Une grosse rigolade.

Dans la perspective de son immortalité il est franchement impossible de commencer une carrière comme ça. C’est un trop mauvais départ à prendre dans sa mort ; un tel homme ne peut pas être pris au sérieux par l’histoire, impossible d’en faire une légende, même dans l’au-delà il ne peut espérer aucun respect si l’on apprend qu’il est mort de la psittacose de son papegai.

Vraiment indigne.

Un papegai, n’est pas un animal sérieux, aristocratique, déjà qu’il porte un nom tel qu’aucun animal normal ne l’aurait assumé, tellement il est criard et ridicule à l’instar de son plumage et de sa voix. C’est un nom de clown, ce n’est pas par hasard que des boîtes de nuit portent ce nom, mais j’imagine mal l’existence quelque part d’une Académie des Papegais, d’un Centre Culturel des Papegais ou encore un Sanatorium des Papegais.

Au demeurant il est honteux que dans le monde animal c’est justement avec les psittacidés que nous ayons tissé un commerce de la sorte, au point de leur emprunter leur maladie. Une maladie du tigre ou une maladie de l’aigle ou d’un autre noble animal, ce serait tout à fait autre chose. Il existe bien l’éléphantiasis, le Job de la Bible en a souffert, personne n’a rien à y redire, l’éléphant est un grand animal noble et sensé.

On en a honte devant les animaux. On préférerait le leur cacher.

C’est ça la vraie déveine : même cela n’est pas possible puisqu’il est évident que le perroquet n’attend que la première occasion pour le répéter, dévoiler la chose, chez lui, parmi les autres animaux.

Dans tout le monde animal il fallait qu’on ait cette connivence juste avec le perroquet, cette commère qui cause.

C’est de nous qu’il l’a appris.

C’est nous qui lui avons transmis notre maladie du commérage. Ainsi nous sommes quittes. Il a raison de nous rendre la pareille – si on est copain ensemble, on peut aussi souffrir ensemble.

Il eut mieux valu ne pas lui adresser la parole.

 

Suite du recueil

 



[1] Nouvelle également publiée dans le recueil "Mesdames et Messieurs", le 5 janvier 1930.