Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
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hongrois
Je dÉvoile le thÉÂtre de puces
'ai envie de dévoiler la vérité. Je veux faire la lumière. Renverser
les barrières et détruire les piliers vermoulus de préjugés encroûtés. Je rends
service à mon pays, au gouvernement, non ! À toute l'humanité, en faisant
la clarté dans un labyrinthe de méchantes mécréances séculaires. Messieurs,
respectable bureau des gratte-papier ! On a mené l'humanité en bateau
durant des siècles avec la fiction obscure du théâtre de puces. Dès ma plus
tendre enfance j'écoutais en frissonnant les mots aux lèvres de ma nourrice
quand elle évoquait les puces tirant des voitures, des puces qui soulèvent des
poids, des puces qui sautent par-dessus les maisons, des puces qui luttent avec
Lurich,
des puces qui dansent et vont à bicyclette, qui organisent des lectures
publiques et qui publient des poèmes dans Hét, Nyugat, et même des puces qui n'écrivent jamais de poèmes
dans Hét ou Nyugat.
Enfin hier, j'allais me trouver
confronté avec l'idéal ancien de mes rêves : la puce culturelle. Toutes
les affiches la claironnaient, celle qui pédale, qui danse, celle qui tire une
voiture et celle qui chante. C'est le cœur palpitant que je suis entré pour la
voir.
Messieurs. J'ai un aveu à faire.
Le théâtre de puces est un rêve, il est le passé et la tradition. Ne croyez
pas au théâtre de puces ! Mes enfants, n'y croyez pas. Le théâtre de puces
consiste en ce qu'on attrape la puce par le cou avec un fil de fer, qu'on
l'attache à une voiture. Vu que la puce n'est pas encore crevée, elle se débat
méchamment avec ses pattes. Vu que ses pattes meuvent ainsi son corps vers
l'avant, la voiture la suit.
Le théâtre de puces consiste en ce que la puce, tant qu'on ne
l'a pas écrasée, remue les pattes. Cinq années d'études ne sont pas nécessaires
pour cela. C'est des pattes de puce qui sont nécessaires.
Ceci étant, ma vision du monde se
forme, l'âme résignée, dans un renoncement mélancolique. Aussi longtemps qu'on
ne l'a pas tuée, la puce sait piquer. Mais il vaut mieux l'écraser.
A Nap, 19 octobre 1911.
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