Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
Wedekind s’est fait siffler
Berlin,
mois d’août.
Qui
plus est, à Munich et pour l’Oaha[1], ce truc satirique dans lequel Simplicissimus[2] est ridiculisé. Les journaux communiquent cette
nouvelle horripilante avec une retenue étonnante, sans commentaire, comme en
ajoutant entre les lignes des mots tels que « ça
alors ! Wedekind ! À Munich ! », et les gens,
également sans commentaire, se font passer l’événement avec des clins d’œil
significatifs : « Vous avez entendu ? Wedekind ! À Munich ! »
Et ils y ajoutent un rire aussi intelligent considérable comme s’il s’agissait
de, que sais-je, Mihály Szabolcska[3] qui déclarerait à propos de Shakespeare qu’il est
un escroc au mariage sans moralité. Et les petits livres en deux ou trois
feuillets de Wedekind coûtent toujours trois ou quatre marks, et les lire
continue d’être une mode qui rivalise avec le succès d’une jupe qui se boutonne
devant, le peuple continue de se ruer à Erdgeist[4], et tout à l’avenant. Les voiles de Wedekind
enflent allègrement sous le vent des sifflets munichois et son ballon continue
de monter dans le souffle des larges poumons bavarois. Tous ces sifflets
tombent si bien pour lui que c’en est déjà presque suspect, comme une maison
qui brûle dans l’année du contrat d’assurance. Et, si nous nous laissons aller
à une petite réflexion avec ce soupçon de l’enfant dans notre cœur, quelques
timides pensées secondaires se permettent de se soulever en nous, demandant une
aimable explication aux autorités. Wedekind se moque dans une pièce de
Simplicissimus et de Munich, puis il va à Munich et il y monte sa pièce.
Veuillez ne pas songer à quelque fine facétie, à une gentille taquinerie, ou à
la satire bienveillante d’un œil critique que l’on va volontiers voir, même si
l’on en est la victime, comme une caricature réussie, pas du tout. L’épingle
avec laquelle la pièce intitulée Oaha pique, a
l’épaisseur d’une saucisse, dans laquelle néanmoins veuillez ne pas mordre car
elle a une couleur et une odeur suspectes. Wedekind ne se contente pas de taper
sur la tête de celui qu’il s’est choisi à cette fin. Il exploite la situation,
ce qui est une manifestation assez imposante de dédain et de mépris. Mais en
tant que spectacle, c’est plutôt à Berlin qu’il serait rafraîchissant, et non
vu depuis la tête dans laquelle il se déroule. Cette pièce n’est vraiment pas
cette satire qui « fustige pour amender », elle est une corde
épaisse. Mais alors pourquoi Wedekind en parle-t-il justement dans la maison du pendu ? Que vient faire
Wedekind à Munich avec son Oaha ? Il ne pouvait
pas venir chercher des applaudissements. Alors il est manifestement venu
chercher des sifflets, le vent des sifflets dans son ballon ramolli, pour que,
retourné parmi ses fervents admirateurs, il puisse aussi déclarer dans un clin
d’œil significatif : « Eh bien ! On m’a sifflé ! À
Munich ! Ça y est, c’est réglé. »
En
vérifiant mon impartialité critique et ma méthode, je me pose la question de
savoir pourquoi ce tempo ne me plaît pas, celui que, si j’essaye de l’imaginer
d’un Heine, d’un Jonathan Swift ou d’un Anatole France, je le juge à coup sûr
charmant et sympathique, et je ris. Et je me donne à moi-même la réponse.
J’ai
vu Oaha ici à Berlin, avec l’auteur dans le rôle
principal. Et je crois taper dans le mille avec la droiture et le franc-parler
de Wedekind et je crois mettre sur pied mon opinion alambiquée avec un esprit à
la française ouvert et nullement ennuyeux, quand dans un comment va ?
merci et toi ?, ollé ! je déclare que ce Oaha
est une pièce mauvaise et ennuyeuse à mourir. Merci pour votre question, chère
Madame, elle est très mauvaise, je vous baise les mains. Mais je ne dis pas
cela ou je ne le déclare pas juste comme ça, ou je ne le suggère pas
modestement comme une impression subjective, comme ma modeste opinion,
mais je le claironne ouvertement, sous serment, et je le prouve sur demande à
n’importe quelle personne intéressée, par la règle de trois. On voit avec une
clarté transparente et rassurante à quel point elle est mauvaise, c’est un
exemple d’école de mauvaise pièce. Son message satirique est faible et d’une
grande banalité, et ses plaisanteries sont telles que le spectateur assombri
acquiesce et reconnaît dans un grand sérieux : c’est vraiment une bonne
blague, oui, sûrement, elle est très drôle, on doit rire et je rirais très
certainement, si mon pauvre vieux grand-père ne me venait justement à l’esprit,
son regard sombre et attristé sur son lit de mort. Par ailleurs, Wedekind joue
la pièce dans le style qui convient ; il est étonnant qu’un comédien non
professionnel joue plus mal qu’un professionnel.
Je
m’empresse d’ajouter qu’il ne s’agit aucunement de dénigrement. Je considère
que Wedekind est un des problèmes les plus intéressants, les plus brûlants de
la nouvelle littérature allemande, et j’aimerais prouver un jour dans un essai
long et important à quel point il a orienté la cause de l’Idéal Littéraire dans
une direction erronée, très loin. Et accessoirement j’aimerais aussi ouvrir un
débat avec l’intelligent et magnifique Felix Salten[5] qui en prime prétend dans un argumentaire digne
d’un virtuose que Wedekind est un acteur extraordinaire. Mais en ce qui
concerne Oaha, les spectateurs de Munich ont
eu grand tort de le payer de leurs sifflets passionnés et leur colère, un long
et heureux bâillement aurait suffi.
Nyugat,
n°16, 1912.
[1] Comédie satirique en cinq actes (1908) de Frank Wedekind.
[2] Hebdomadaire satirique créé à Munich.
[3] Mihály Szabolcska (1861-1930). Poète académique et théologien..
[4] L’esprit de la Terre tragédie en quatre actes de Wedekind (1895).
[5] Félix Salten (1869-1945). Écrivain autrichien d’origine hongroise, auteur de Bambi.