Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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LUDÆ OLIMPIÆ

(Jeux olympiques)

 

 

Ô sage Lycorgos,

Lorsque, accompagné par Thémis aux mains rapides, j’avais pris congé de toi pour participer aux jeux du mois d’Olympos à Stockholmos et t’en confectionner une poésie, le regard des Grâces m’accompagna dans mon chemin, et j’atteignis bientôt Stadion que les Normands avaient installé dans la province septentrionale du grand empire Latin. J’avais amené avec moi le jeune Daphnis, celui dont les traits ingénus et nobles t’ont tant de fois fait rêver ; il souhaitait participer à la grande course olympique et gagner cette année le laurier et la coupe, et l’Homère à l’esprit unciné l’inclut dans le long poème qu’il compose ces temps-ci et auquel, comme tu ne l’ignores pas, sage Lycorgos, il peine à trouver un éditoros. Je participai au grand jeu de ballon ; permets-moi de te faire le récit de son déroulement dans mon style prosaïque ordinaire.

 

Priamos vint – il vint et Rome s’écroula

Et déjà Hélios poussait son char céleste

Et partent en premier des jeunes ardents, à onze,

Dont l’armée étoffée fut envoyée de Thrace

Et la fière Pannonie : - ils arrivent, ils s’alternent

Et viennent aussi les Thraces, tous les onze du Nord,

Des gars fiers, combatifs – depuis Vindobona.

Et vient, ballon en mains, Dominique le fier.

Le rythme s’accélère – ils se font face, se toisent,

Et le ballon au pied Schlosser aux yeux vivaces

Court au but pour gagner, et le ciel, s’il pouvait,

Il le porterait pour l’aider à faire sauter

Ce ballon sorcier à son pied magicien.

Mais Hallus est posté, défenseur du but thrace,

Et surgit Bodnáros, l’avant aux pieds ailés,

Lui qui jadis avait jailli comme un sorcier

De la tête de Chronos avec un ballon fou.

Il shooterait au ventre – mais la sage Athéna

A inspiré l’arbitre. Celui-ci montre un « hands »,

Il agite les bouts de ses deux bras dressés

Tels des voiles ailées dans les mers égéennes.

Et Thraces olympiens ne cessent d’avancer.

Or Blanos court plus vite, à une allure rusée,

Et dans sa course il passe le ballon vers le centre

Et maintenant il dribble – et le cri monte au ciel,

Parce qu’il rejoint sa cage, tel l’agneau de l’Hymette

Regagne sa grotte à l’approche d’un épervier.

L’archer Zeus apparaît en grande tenue d’aigle

Et donne, lui aussi, un coup au ballon rond –

Puis se transforme aussi en un ballon.

Et c’est ainsi que court Héra aux yeux de vache

Dans la tente de Zeus, cette vierge céleste.

Sur sa flûte de Pan l’arbitre siffle le jeu.

Mi-tempos 1 à rien – la Pannonie est fière.

Car ce chiffre, ce 1, couronne son succès.

Et se réjouira Hunnia dans sa plaine,

Et aussi Wlasszisos, d’éducation ministre.

 

Ô Lycorgos, c’est ainsi que se déroula rapidos le premier tournois de ballon que les Normands au corps bleu baptisèrent footballos, à la gloire de Fytballia aux pieds pointus.

Puis, pendant que les horas continuèrent de filer leur quenouille, le fringant Las Torres aux poumons ailés et Demjénos le batteur de Teutons s’immergèrent dans les flots, et présentant au courant leur poitrine de poisson ils nagèrent en avant, comme jadis Ulysse. Et lorsque le jeune perdait courage, ô Lycorgos, je descendis auprès de lui et je lui citai les sages paroles de Platon : « Oh, jeune homme, le corps et l’âme sont-ils une et même chose ? Car dans un corps sain demeure une âme saine, n’est-ce pas, et nous aimons tous le chêne majestueux et c’est pourquoi les dieux aussi nous aiment. » Mais Eris aux sourcils froissés éleva contre moi la colère de Demjénos, qui poussa un hurlement puissant vers moi dans le langage particulier de ses semblables de la Pannonie : « putain, arrêtez de me gueuler après, alors que je veux aller en finale ! ». Demjénos aux longs bras leva une de ses mains contre moi dans l’intention de m’en frapper, sur quoi retentit le sifflet de Pan, de forts cris « Diskalifikos ! » coupèrent l’élan de son geste, et moi je fus attaqué par des lictors au couvre-chef pointu, les fils chamailleurs de la tribu BTC-os ; s’ensuivit un bref combat dans lequel ils furent soutenus par Vulcanos au torse poilu, et ainsi moi, ô sage Lycorgos, je fus déposé hors les murs du Stadion. J’en conclus, ô sage Lycorgos, que les jeux du grand Olympos dégénérèrent passablement en la présence de ceux de Pannonie qui semblent avoir oublié les grands dieux. J’ai également rencontré Homère. Je lui ai demandé s’il comptait écrire dans son héroïque chant les faits des héros olympiens. Mais il était très pressé, ô sage Lycorgos, car, comme il me l’a narré, il était devenu écrivain de très grands journaux vu qu’il s’était placé au service du grand Riportos. Il te fait dire, ô sage Lycorgos, que la foudre devrait te frapper parce que sous ton règne il pouvait juste aller mendier avec son Iliade et son Odyssée sous le bras, et il avait même perdu la lumière de ses yeux, alors que maintenant il arrive quand même à gagner péniblement son pain. Ce en quoi il n’a pas tort, ô sage Lycorgos.

 

            Borsszem Jankó, 21 juillet 1912.

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