Frigyes
Karinthy : Nouvelles parues dans la presse
REPORTAGE
FINAL DE L’OLYMPIADE
(De notre
envoyé spécial et définitif)
Stockholm,
juillet
Aux jeux olympiques de Stockholm les dernières finales sont en
cours et notre correspondant en donne un compte rendu détaillé.
Football. Ce
matin la ÉUIF (Équipe Unie Internationale de
Football) s’est mesurée aux Hongrois de la FJE (Fédération des Jambes Enflées).
Au début : 0 à 0, en faveur des Hongrois. Dans les dix premières
minutes Domonkos place quatre-vingt-deux buts
successifs dans les filets de l’adversaire, mais malheureusement à une vitesse
telle que l’arbitre suédois ne les remarque pas, ses yeux n’arrivent pas à les
suivre. Ensuite c’est l’Anglais Mc Crèvedonc qui
se traîne vers la cage hongroise avec son ballon raplapla, il tire la langue,
il essaye de lécher la balle dans les filets. La défense hongroise proteste
contre une telle irrégularité, sur quoi l’arbitre suédois gifle le goal
hongrois et colle à la glu les pieds de nos attaquants. Sur quoi dix-huit
avants anglais traînent à grand-peine la balle dans les filets hongrois sans
défenseur, ils l’y posent, ce que l’arbitre juge être un but. Les Hongrois
protestent, alors l’arbitre fait couper les pieds des défenseurs hongrois.
Même, comme cela, nous arriverons à marquer douze buts, mais malheureusement à
une force telle que les ballons traversent les filets de l’adversaire et
s’envolent dans la rotule du genou de leur marraine ; l’arbitre suédois ne
les reconnaît pas. Les avants anglais attrapent les Hongrois au lasso, ils les
terrassent, et sous surveillance policière ils font perfidement glisser la
balle dans le but hongrois, ce que l’arbitre reconnaît comme un but. Les
Hongrois mettent trente-deux autres ballons dans le filet adverse, mais
l’arbitre ne les adjuge pas, il ne les aperçoit même pas parce qu’il n’est pas
possible d’en marquer autant, le filet de l’adversaire en est déjà trop plein.
Un avant anglais avale le ballon, puis par ruse, les mains dans les poches, il
se balade jusqu’à la cage hongroise, une fois là il recrache le ballon, ce que
l’arbitre considère comme un but. Les Hongrois ne cessent pas de marquer des
buts, mais l’arbitre suédois se couche dans un lit qui lui a été préparé et
s’endort. Il rêve que les Anglais ont marqué dix buts contre les Hongrois, puis
il se réveille et les accorde aussitôt. Les Hongrois marquent huit cents
autres buts, mais les Anglais soulèvent leur cage et l’emportent du terrain.
Parallèlement ils postent la balle dans une lettre recommandée à l’adresse du
gardien de buts hongrois, celui-ci décachette innocemment l’enveloppe, la balle
en tombe, ce que l’arbitre suédois ne tarde pas à enregistrer comme un but.
Résultat : 19 à zéro pour les Anglais.
Natation. Il
y a douze partants, de nationalités différentes. À la première minute c’est le
Hongrois Requin, champion universel
de Ferencváros qui prend la tête et en jouant l’hymne populaire hongrois sur sa
clarinette hongroise précède tous ses concurrents. Les Américains l’arrosent de
rafales de leurs revolvers, pourtant il continue de nager, il parvient jusqu’à
la baie Baltique, laissant derrière lui le cuirassé Imperator. Les Américains
nagent à sa poursuite langue pendante, mais ils coulent tout le temps.
L’arbitre suédois dépêche des maîtres-nageurs au secours des étrangers, ils
donnent des leçons de natation aux Américains tout en leur attachant des
bavoirs avec la mention « chouchou de Monsieur l’arbitre ». Le public
crie « animal, salopard » pour irriter le champion hongrois, alors
l’arbitre le disqualifie sous prétexte qu’il n’avait pas réclamé illico des
dommages et intérêts à propos de ces insultes. À la fin c’est un Américain qui
est déclaré vainqueur, on a oublié son nom.
Saut
en hauteur. Ollé, le
Hongrois champion du monde saute trois mètres et demi, mais le jury suédois le
disqualifie car en l’air il se nettoyait les ongles. Dans ces conditions c’est Paresson, athlète
suédois qui gagne l’épreuve avec son saut de 22,5 centimètres.
Lutte.
Lavasse, champion du monde hongrois,
saisit dès la première minute son adversaire anglais et le plaque au sol. Alors
l’arbitre suédois convoque un artisan pour peindre la poitrine du lutteur
anglais de façon qu’on croie que c’est son dos qui serait encore tourné vers le
haut. Le champion hongrois continue de le plaquer au sol, alors l’arbitre fait
peindre la figure du champion anglais comme s’il était le Hongrois, et la
figure du Hongrois comme s’il était l’Anglais, de façon à faire croire que
c’est le Hongrois qui se trouverait au sol, comme ça, c’est l’Anglais qui est
déclaré vainqueur.
Course.
Ouste, le Hongrois champion du monde
prend dès le départ une avance considérable. Il court si vite qu’en quelques
foulées il fait le tour du Globe Terrestre. Il est sur le retour juste dans le
dos des autres coureurs qui arrivent au but. Il est donc déclaré dernier.
Toutes les autres épreuves ont très
certainement été gagnées par des Hongrois, mais nous n’avons pas pu y assister,
parce que le jury a fourré les journalistes hongrois dans un panier à salade et
les a expédiés chez eux.
Borsszem Jankó, 28 juillet
1912.
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