Frigyes Karinthy : Nouvelles parues dans la presse

 

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ScÉnario

Un homme qui aimerait dormir

1. Maurice, simple directeur de banque affalé dans un fauteuil chez le conseiller et madame qui donnent une soirée. La demoiselle de la maison joue quelque chose au piano – sa chanson n’en finit pas. Le public baille en cachette au début, mais plus tard il ne se gêne plus. Notre héros en revanche s’endort pour de bon et se met à ronfler avec un bruit vraiment plus tenable. Un domestique apparaît et il conduit Maurice vers la sortie.

2. Le numéro de chant a fait un fort effet sur Maurice, il lui a transmis la maladie du sommeil. Lorsque le domestique lui enfile son pardessus, sa tête retombe sur le côté et il la range dans une des poches de son manteau. Le domestique accompagne Maurice jusqu’à sa voiture. Maurice monte dans l’auto et s’endort. L’auto ramène Maurice à toute allure à la maison, elle grimpe les escaliers, elle avance jusqu’au lit, elle fait un quart de tour telle un brave cheval et elle jette Maurice dans son lit. Maurice est maintenant couché au lit et il dort, tandis que l’auto ronronne et se glisse sous le lit.

3. Dans la pièce voisine habitent des juristes qui sont justement d’humeur fêtarde. Maurice ne le supporte plus, il saute de colère, il se rend dans l’autre pièce et s’allonge sur le canapé. Au même moment le canapé se casse en deux.

4. La salle de bains. Maurice s’allonge dans la baignoire. Il s’endort. Il remue dans son sommeil, il touche par hasard au robinet de la douche qui se met à fonctionner. Maurice se sauve de là.

5. La cuisine. Maurice se couche sur le fourneau et s’endort. Brusquement le fourneau se met en marche. Maurice commence à rôtir. Quand un côté est bien rôti, Maurice se retourne. La cuisine prend feu. Pompiers. Maurice  est réveillé par la lance à incendie. Très en colère, il va gifler le pompier qui l’a réveillé. Les pompiers jettent Maurice par la fenêtre.

6. La rue. Endormi, Maurice titube tout au long de la rue. Il s’assoit sur un banc, s’allonge, s’endort. Un couple d’amoureux. Ils ne le remarquent pas, ils s’assoient sur lui. Querelle. Gifles. Maurice rampe plus loin. Il se couche sur les rails du tramway.

7. Le tram arrive : l’appareil de sauvetage attrape Maurice et le soulève en l’air. Il continue de dormir. Un policier survient, il embarque Maurice au poste. Le commissariat du quartier. Officier de police. Interrogatoire. Maurice commence à parler mais il s’endort au milieu d’une phrase. On le fiche dehors.

8. La rue. Arrive une femme poussant un landau, avec un enfant. Maurice est heureux d’y trouver une litière, sans mot dire il jette l’enfant dehors et se couche à sa place. La femme crie au secours. Arrivent des ouvriers, un laitier. Bagarre. Maurice y prend goût, le tumulte est grand, mais tout à coup Maurice se laisse glisser jusqu’à terre parmi les bagarreurs et il s’endort.

9. L’armée survient et disperse les bagarreurs. L’infanterie défile. Marche militaire. Là-dessus il se réveille : fou de rage, Maurice s’arrache les cheveux, et dans son désarroi il se faufile dans un canon.

10. Champ de tir. Les canons commencent à tonner. Maurice est tiré par son canon, Maurice s’élance et retombe en bordure de la ville, devant un immeuble en construction. Il revient un peu à lui. Il aperçoit le monte-charge, des briques. Tout heureux, il se faufile dans une case et s’endort. On le monte, puis on le descend. La tête en bas, et il dort. L’ouvrier le repère, le gifle et le fait descendre.

11. Maurice est maintenant totalement désespéré et il décide de se suicider. Il va dans une forêt pour se pendre. Il a déjà la corde au cou lorsqu’il aperçoit un cocon sur une branche.

12. Une idée ! Maurice prend énormément de ficelle dans ses poches, il s’appuie contre l’arbre et il commence à s’encoconner.

13. On peut voir certains détails de l’opération. Maurice travaille assidûment à l’intérieur de ses ficelles.

14. Ça a marché ! Un cocon géant pend à l’arbre, nous voyons notre héros en coupe, en train de dormir doucement à l’intérieur du cocon.

15. Un policier arrive. Il avise le cocon. Il hoche la tête. Il remarque aussi le plus petit cocon. Il est pris de colère. « Attroupement interdit ! » crie-t-il et d’un coup d’épée il fend le grand cocon en deux.

16. Maurice s’envole du cocon fendu sous la forme d’un aéroplane. Sur une des ailes on peut lire l’inscription : "Liberté Universelle". De colère, le policier s’écroule mort. Pathé frères.

 

Borsszem Jankó, le 6 octobre 1912.[1]

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[1] Hebdomadaire humoristique du début du siècle (le titre signifie "Jeannot Grain de poivre")